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défaites sans arracher du sol toute leur histoire. Cette alerte et ces controverses de 1840 laissèrent des deux côtés du Rhin, une irritation, une défiance, une meurtrissure. Ce n’était pas seulement la guerre, la grande et terrible guerre des deux peuples qui se préparait ainsi de loin, c’était la servitude de la France, car, seule, la légende napoléonnienne bénéficiait de ce nationalisme exaspéré. Et Quinet lui-même signalait que pour conduire la guerre de salut pour la patrie une terrible concentration des pouvoirs serait nécessaire : « Il est trop évident que notre gouvernement ordonné pour la paix, serait contraint de se transformer sous le feu. La Chambre des députés ne porte pas assurément dans son sein un Comité de Salut public et celle des Cent Jours, pleine aussi de bonnes intentions, a démontré pour jamais, qu’au moment du danger, la dictature inflexible est encore plus humaine, plus libérale que ces molles assemblées, toujours empressées à accommoder le différend, c’est-à-dire à faire accepter aux peuples, sous la forme d’une capitulation emmiellée, l’esclavage et la mort. Quinet comprend bien cependant quel intérêt il y a pour la France et pour l’Allemagne à conclure un accord définitif ; et quand l’orage soulevé par le ministère Thiers s’est dissipé, en novembre 1840, il adresse aux Allemands un appel à l’union : Mais à quelle condition ? Toujours au prix de l’abandon par l’Allemagne de toute la rive gauche du Rhin. Il constate l’immense extension de la puissance allemande. « Vous possédez le tiers de la Pologne, les États vénitiens, la Lombardie, la Dalmatie », et il l’invite à se répandre par le Danube vers l’Asie. Il oublie que cette énorme dispersion ne sera que péril pour l’Allemagne tant qu’elle n’aura pas concentré ses forces, organisé fortement son unité, et qu’elle ne peut préludera cette œuvre de concentration par l’abandon volontaire d’une partie de son territoire. En fait, après avoir rappelé à l’Allemagne et à la France que les deux peuples avaient à défendre la même civilisation, faite tout à la fois de la Réforme religieuse allemande et de la Révolution française, c’est par une menace, c’est par une déclaration de guerre qu’il conclut. « Quand je pense par combien de liens votre pays et le nôtre sont désormais réunis, combien ils sont d’intelligence sur presque tout le reste, j’avoue que je suis très près de regarder comme une guerre civile la guerre entre la France et l’Allemagne. J’ose ajouter qu’il n’est personne de ce côté du Rhin qui désire plus sincèrement que moi votre amitié ; mais si pour l’obtenir il s’agit de laisser éternellement à vos princes, à vos rois absolus le pied sur notre gorge et de leur abandonner pour jamais dans Landau, dans Luxembourg, dans Mayence les clefs de Paris, je suis d’avis d’une part que ce n’est pas là l’intérêt de votre peuple, de l’autre, que notre devoir est de nous y opposer jusqu’à notre dernier souffle. » Mais comment donc Quinet admet-il qu’à jamais l’Allemagne sera livrée à des princes absolus ? Comment ferme-t-il ainsi l’avenir à la démocratie allemande ? Je ne puis lire ces lignes sans un tressaillement de cœur et d’esprit. Mais combien est-il de Français qui se les rappellent, et qui se souviennent encore de l’état d’esprit qu’elles exprimaient ? Hélas ! nous irons répétant que l’Allemagne