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autant en emporta le vent. La population ne prit pas garde à ces chicanes. Elle ne prenait pas garde non plus que sur quarante députés, six seulement avaient signé, sept maires sur dix-neuf, trente-deux adjoints sur soixante-seize. Toute à la joie d’une entente qu’elle croyait sincère, d’une concorde qu’elle jugeait indestructible, elle allait se porter en masse le lendemain aux urnes pour y faire acte de souveraineté, affirmer, en en usant, ses droits municipaux conquis.

Au même instant, il est vrai, par un phénomène naturel, Versailles recouvrait son unité. Légitimistes et orléanistes se serraient avec les faux républicains autour de Thiers, flairant en lui le veneur qui les mènerait le plus sûrement à la curée chaude. Arnaud de l’Ariège retirait son projet de concessions devenu sans objet. Louis Blanc, à la séance du soir, essayait sans passion d’obtenir une satisfecit pour les maires, mais n’insistait guère devant la décision de l’Assemblée qui renvoyait à la Commission d’Initiative parlementaire.

Le satisfecit, les maires complices l’avaient obtenu déjà de Thiers qui, au cours de cette journée même, disait à Tirard, son confident : « Ne continuez pas une résistance inutile. Je suis en train de réorganiser l’armée. J’espère qu’avant quinze jours ou trois semaines, nous aurons une force suffisante pour délivrer Paris ». Ce qui permettait à Tirard, rentré le soir dans la capitale, d’y aller aussi de sa petite affiche, invitant les électeurs à voter.

Thiers connaissait son Tirard et il connaissait aussi ses maires. Au fond, la manœuvre des municipaux n’avait servi qu’à ceci : détourner le Comité central de la voie révolutionnaire, l’amuser aux bagatelles de la porte et ainsi permettre à Versailles de reconstituer l’armée qui allait reprendre Paris.

Sans doute, devant la Commission d’Enquête, plus tard, les maires se sont faits à l’envi plus noirs, plus scélérats, plus immondes qu’ils n’avaient été. Ils se sont vantés après coup, pour obtenir pardon de la réaction, ménager leur situation et leur avenir, en prenant figure d’hommes d’ordre, en ne permettant pas qu’on les confondit avec la vile multitude, la tourbe impure que les soldats de Mac-Mahon venaient d’égorger. Parmi les maires, s’il y en avait de franchement mauvais, il s’en trouvait de passables ; il s’en trouvait même de bons. En gros même ils étaient républicains, et il est sûr qu’au moment où se déroulaient les événements entre « l’anarchie à Paris et la monarchie à Versailles », ils pouvaient hésiter et hésitèrent. Certains, beaucoup peut-être, travaillèrent de bon cœur à une réconciliation qu’ils estimaient possible. Il n’en est pas moins vrai que pour avoir cherché, au moment de la reddition des comptes et produit la même excuse, comme s’ils se fussent donné le mot, pour avoir tous, ou presque tous, affirmé qu’en somme ils avaient dupé Paris et sauvé Versailles, il fallait que cette affirmation fut fondée dans les faits, sinon dans leurs intentions.

Écoutez les, les uns après les autres : que disent-ils ?