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cause de conflit en attendant les décisions de l’Assemblée nationale. Quelques heures après, plus explicite encore, la camarilla des députés et maires lançait une deuxième proclamation, tissu de faussetés et d’illusions. Elle mettait en avant la patrie sanglante et mutilée et engageait les électeurs à ne pas répondre à un appel qui leur était adressé sans titre et sans droit. Les braves avaient pleine confiance en l’Assemblée nationale ou le prétendaient. « Nous voulions, disaient-ils, le maintien, l’affermissement de la grande institution de la garde nationale. Nous l’aurons ; l’Assemblée nous le donnera ; nous voulions, pour Paris, des élections municipales immédiates, la consécration de ses franchises municipales. Nous l’aurons ; l’Assemblée nous le donnera ». Naïveté ou duplicité, selon que l’on suppose la bonne ou la mauvaise foi.

Cette démonstration en venait appuyer une autre qui paraissait émaner d’une source différente, mais qui était peut-être combinée, puisque, à côté de feuilles nettement réactionnaires : Univers, Union, Français, Gaulois, Figaro, elle en groupait des républicaines, telles que la Vérité, le Temps, l’Opinion Nationale. Il s’agit de la déclaration de la Presse aux électeurs de Paris. Les trente-cinq journaux signataires se plaçaient académiquement au point de vue du droit constitutionnel. La convocation des électeurs étant, affirmaient-ils, un acte de la souveraineté nationale, n’appartenant qu’aux pouvoirs issus du suffrage universel, le Comité central n’avait pas qualité pour cette convocation. Partant, ils déclaraient nulle et non avenue la convocation pour le 22 mars et engageaient les électeurs à n’en pas tenir compte.

C’était bien la guerre, guerre qui, des conciliabules des maires et des bureaux de rédaction, allait descendre dans la rue. C’est ce jour qui vit en effet la première manifestation des « Amis de l’Ordre ». Les dits amis paraissent s’être rassemblés à l’appel d’un certain Bonne, capitaine au 253e bataillon. Des boulevards, lieu de rendez-vous, ils s’étaient acheminés place de la Bourse, puis, serrés autour d’un drapeau tricolore portant en exergue : « Réunion des Amis de l’Ordre », ils s’étaient dirigés sur la place Vendôme et arrêtés devant l’état-major de la garde nationale, au no 22, ils assourdissaient les airs de leurs clameurs. « Vive l’Assemblée ! » criaient-ils. Un membre du Comité central parut au balcon et les invita à envoyer une délégation. Les manifestants répondirent en vociférant : « À bas le Comité ! Pas de délégués ! Vous les assassineriez : » Les gardes nationaux qui veillaient aux portes, refoulèrent alors hors de la place ces agités qui ne tardèrent pas à se séparer, se donnant rendez-vous pour le lendemain, dans les mêmes parages. Qu’étaient ces manifestants ? Leur cri de ralliement : « Vive l’Assemblée ! » indiquait surtout des amis de M. Thiers et de la majorité rurale. Les éléments cependant en étaient très mêlés et nombre d’agents bonapartistes ou autres s’y étaient faufilés, comme la chose devait apparaître plus clairement le lendemain. Les partis de réaction, en ces heures de confusion et d’agitation, croyaient leur jour venu et prenaient position.