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nous a assez estimés pour écouter nos avis qui ont souvent froissé son impatience : « Voici le mandat que lui nous a confié ; là où notre intérêt personnel commencerait, notre devoir finit ; fais ta volonté. Mon maître, tu t’es fait libre. Obscurs, il y a quelques jours, nous allons rentrer obscurs dans tes rangs et montrer aux gouvernants que l’on peut descendre, la tête haute, les marches de ton Hôtel de Ville, avec la certitude de trouver au bas l’étreinte de ta loyale et robuste main ». Par une autre proclamation, conclusion logique de la précédente, le Comité convoquait les électeurs aux urnes pour le mercredi 22 mars. La province non plus n’était pas oubliée ! Une longue note rédigée à son intention par les délégués au Journal officiel la mettait très exactement au courant. On y comptait que les départements éclairés et désabusés rendraient justice au peuple de la capitale et comprendraient que l’union de toute la nation est indispensable au salut commun.

Ces documents manifestent l’esprit de conciliation, de modération extrême, excessif, qui animait le Comité central. Il apparaît, à leur lecture, qu’il ne veut rien casser, rien perturber dans l’ordre politique, moins encore dans l’ordre social ; son objectif unique est de défendre et faire prévaloir les droits de Paris, ses franchises municipales. On relèverait à grand peine dans les colonnes de l’Officiel de ce jour et aussi des jours suivants une phrase, une expression qui put inquiéter les oreilles bourgeoises, décelât une arrière-pensée d’expropriation, de reprise sur les classes possédantes. Laisser la parole à la population, lui remettre le plus tôt possible un pouvoir qu’il ne considère entre ses mains que comme un dépôt éminemment provisoire, telle est bien l’idée dominante du Comité central à ce moment. Qu’on l’en blâme ou qu’on l’en loue, c’est le fait.

Durant ce temps, Versailles déjà aiguisait le poignard. Qu’on se transporte aux débats de ce jour, à l’Assemblée nationale et que l’on juge. Avant d’entrer, à la descente du train, on est dévisagé, toisé, fouillé par des mains policières : dès ce moment, le passe-port est de rigueur. Aux alentours du palais des rois, dans les couloirs, dans la salle des séances, une terreur intense règne ; les plus braves ne parlent de rien moins que de déguerpir jusqu’à Bourges. À la tribune monte un M. de Lasteyrie, qui propose et fait nommer à la vapeur une Commission de quinze membres « qui réunisse toutes les pensées de l’Assemblée et qui s’entende avec le pouvoir exécutif afin d’agir comme il convient dans les circonstances actuelles ». Dans cette Commission, deux généraux, deux amiraux, deux ducs, tout un lot de réactionnaires obtus et féroces ; pas un républicain. En écho, pour rassurer un peu cette Chambre qui, littéralement s’effondre, Picard, ministre de l’Intérieur, demande et obtient, presque sans protestation, la mise en état de siège du département de Seine-et-Oise. Voilà, maintenant, Trochu au perchoir, le doucereux tartuffe de la Défense. Froidement, il vomit l’injure sur ceux qu’il a trahis, ces « misérables », ces « scélérats », ces « meneurs de guerre civile qui, dix fois pendant le siège, avaient