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ceux-là, honnêtes et bien intentionnés, comme probablement Bonvalet et Mottu, furent dupes : voilà tout.

En tout cas, Thiers ne s’y méprit pas. L’action négociatrice et conséquemment déprimante des maires avait emploi dans son plan. Incertain encore de l’issue, il ne dédaignait pas de se réserver une porte de sortie. D’autre part, il savait son Paris et n’ignorait pas, notamment, que, si la classe ouvrière était tout entière levée contre le gouvernement, la bourgeoisie petite et même moyenne était, pour son compte, complètement désaffectionnée de ce même gouvernement, indifférente, sinon hostile. N’est-il pas de Tirard, c’est-à-dire de son confident parisien le plus intime, ce propos significatif tenu à la Commission d’enquête, comme il parlait de l’état d’esprit des personnes qui, par situation, auraient semblé les plus intéressées au maintien de la tranquillité publique : « Ils manifestaient une égale répugnance pour Versailles et pour le Comité central ». La tactique n’était donc pas inutile qui avait pour objet de ne pas froisser irrémédiablement ces éléments par une allure trop uniment brutale et provocante, et de courir le risque ainsi de les fixer dans leur attitude expectante ou même de les rejeter vers l’ennemi. C’est en ce sens que devait servir l’action des maires, trompe-l’œil et dérivatif. Leurs négociations amusaient le tapis et dissimulaient le restant de l’opération, l’essentiel, qui s’exécutait à Versailles.

Après ces quelques considérations, suffisantes pour l’instant, mais sur lesquelles il conviendra de revenir quand il s’agira de juger, après coup, la besogne accomplie, reprenons le récit des faits.

Donc, réunis le 19, à 2 heures, à la mairie du IIIe, les maires y prolongeaient leur conciliabule jusqu’à 6 heures, heure à laquelle, après avoir entendu Arnold, du Comité central, ils décidaient de l’envoi d’une délégation à l’Hôtel de Ville. Composaient la délégation : Clemenceau, Cournet, Lockroy, Minière, Tolain, députés ; Bonvalet et Mottu, maires ; Jaclard, Malon, Meillet, Murat, adjoints. Le Comité central reçut ses visiteurs en séance. La discussion fut chaude. Clemenceau porta la parole pour son camp, et, dès l’abord, se plaça sur le terrain Versaillais, le terrain de la reconnaissance et du respect de l’Assemblée nationale. Millière, Malon, qui étaient de cœur avec le mouvement et allaient s’y rallier, intervinrent avec plus de conciliation et de cordialité. Varlin répondit au nom du Comité central et posa catégoriquement les termes du problème. On nous demande ce que nous voulons, eh bien, voici, dit-il, « nous voulons un Conseil élu, les franchises communales, la suppression de la préfecture de police, le droit pour la garde nationale de nommer tous ses officiers, la remise entière des loyers, une loi équitable sur les échéances ; nous voulons enfin que l’armée se retire à vingt lieues de Paris ». La déclaration était nette. Restait à la faire ouïr aux maires et députés assemblés, telle que leurs mandataires venaient de l’entendre. Arnold, Jourde, Moreau et Varlin en furent chargés.