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spécifiquement ouvriers, auxquels leurs ressources interdisaient le déplacement, étaient rentrés pour leur part dans leurs quartiers respectifs, dans leurs bataillons.

Ce fut ainsi, très naturellement, que les éléments plus modérés, plus incertains, groupés dans la garde nationale, prirent le dessus et orientèrent le mouvement. La garde nationale, expression armée de l’ensemble de la population, redevint dans cette période confuse et intermédiaire le confluent de toutes les rancœurs, de toutes les irritations, de toutes les passions, de toutes les exaltations à la fois patriotiques, républicaines et socialistes.

Dans ce milieu plus vaste, plus atténué par suite, une idée dominait au-dessus de toutes autres, à savoir que la République, voulue par Paris dès l’empire, contre la province, conquise par Paris de haute lutte au 4 septembre, en dehors de toute ingérence de la province, était menacée dans son existence même et par cette province et par son Assemblée de ruraux réunie à Bordeaux. Paris avait une mission, mission historique s’imposant à lui d’honneur et à laquelle il ne pouvait forfaire : mission de conserver, de sauvegarder cette République et ainsi de prendre, jusque sur ses vainqueurs allemands, une sorte de revanche en leur infligeant le voisinage et la menace contagieuse d’un régime politique supérieur au leur. Or, pour maintenir, implanter la République il importait avant tout que Paris, gardant ses fusils et ses canons demeurât en situation d’assumer, si besoin était, le rôle de sentinelle vigilante de l’idée nouvelle et du fait acquis. Il fallait donc que la garde nationale ne fût pas désarmée, qu’après comme pendant le siège elle restât la force armée ou plus simplement la force.

Les patriotes purs, par une aberration étrange, mais compréhensible en ces temps, croyaient aussi que Paris ainsi fait pouvait incontinent reprendre la lutte contre l’envahisseur, que, délivré des gouvernants qui l’avaient dupé, des généraux qui l’avaient trahi, des Favre et des Trochu, des Simon et des Ducrot, il se trouvait en mesure, avec sa garde nationale, de reprendre la guerre et, la France du Centre et du Midi encore incertaine aidant, de rejeter le Prussien par delà le Rhin. Espoir chimérique, hallucination folle, mais qui s’explique devant une paix conclue sans combat, sans que l’effort possible, imploré par ceux mêmes qui s’offraient prêts d’avance à tous les sacrifices ait été fourni, sans que Paris ouvrier et révolutionnaire ait pu donner sur le champ de bataille la mesure de sa vaillance et de sa valeur.

Voilà les idées divergentes, les tendances multiples sinon contradictoires, car elles se réconciliaient et se conjuguaient dans l’identité du but poursuivi, qui présidèrent à la reconstitution des cadres de la garde nationale et à la formation de son Comité central. Ce sont ces idées, ces tendances qui s’accusèrent aux grands meetings du Waux-Hall, solidarisant pour un instant dans une volonté commune et une résistance commune, la presque unanimité de la population parisienne et qui donnèrent au mouvement à côté de la caractéristique