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Avec des procédés de pandour bonapartiste, Vinoy, qui n’avait que faire de d’Aurelle, commenta à taper dans le tas, apostrophant la population parisienne en des affiches qui fleuraient les mitraillades de juin et de décembre, supprimant tous les journaux : Vengeur, Cri du Peuple, Mot d’Ordre, Père Duchêne, Caricature, Bouche de Fer, qui parlaient trop haut ou trop ferme, cela, au nom d’un état de siège auquel il n’assignait aucun terme.

Mais les reîtres seuls, de sottise trop épaisse et de brutalité trop crue, restaient impuissants, Thiers sentit alors la nécessité d’opérer en personne et, pour cela, de se rapprocher de Paris, de venir sur place. Il s’appliqua à décider l’Assemblée. Celle-ci avait peur, se refusait. Thiers dépensa des trésors de diplomatie pour la convaincre. Comme pis-aller, elle consentait à se transporter à Fontainebleau, à peine rassurée par les 80 kilomètres qui l’auraient ainsi séparée de la capitale. Mais Fontainebleau n’agréait pas au chef de l’Exécutif. Il voulait Versailles. Et pour quelles raisons ? Pour les raisons indiquées dans sa déposition à la Commission d’enquête, et où se révèle tout net son plan de massacre. Il se disait et il disait : « On m’avait parlé de Fontainebleau comme d’une ville où l’Assemblée nationale pourrait siéger en sûreté. Je fis observer que nous serions séparés par quinze lieues et par toute l’épaisseur de Paris de la position de Versailles, la seule vraiment militaire ; que si les réserves chargées de garder l’Assemblée étaient obligées de partir de Fontainebleau pour se rendre au lieu du combat, la distance serait bien grande et la position des plus mauvaises : qu’il fallait aller à Versailles même et, de là, tâcher de rester maîtres de Paris. Cet avis prévalut auprès de l’Assemblée et nous vînmes, en effet, nous placer à Versailles ».

Rendez-vous avait été pris par l’Assemblée pour le 19 dans cette localité. Quand à Thiers, il se portait de sa personne et immédiatement — c’était le 16 — à Paris et se préparait, sans tarder, à tenter son coup.

Quelle était en ces jours la situation exacte de la Grande Ville ? quelles pensées, quels sentiments y dominaient ? quels courants s’y dessinaient ? quelles forces organisées et cohérentes s’y groupaient en vue d’une résistance, d’une action que l’on sentait de plus en plus inéluctable et prochaine ? Il y a lieu de remonter pour cette explication jusqu’au lendemain même du siège, au début de février.

Après les élections générales, la réunion de l’Assemblée nationale, le Comité central des vingt arrondissements s’était dissous ou presque. Contre l’avis de plusieurs, qui prévoyaient justement l’inévitable réveil de la colère populaire au jour de la désillusion et de la trahison avérée et que la bataille restait plus que jamais à livrer et à gagner dans Paris, les éléments révolutionnaires les plus ardents et les plus qualifiés, cédant à l’inspiration de Blanqui, s’étaient portés à Bordeaux. Blanqui avait cru qu’il était possible de jeter l’Assemblée nationale par les fenêtres et il se consuma sans profit dans cette tentative vaine. Les autres éléments de la Corderie, les éléments plus