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fait leur pointe offensive, et les forces de Mac-Mahon et de Bazaine auraient pu sans doute, en se repliant, se concentrer. Il n’y eut pas seulement défaite, il y eut écroulement et débâcle : la première armée, vaincue, tombait dans le vide !

Le capitaine Picard, dans les ingénieuses leçons qu’il a professées en Sorbonne sur la guerre de 1870, accuse surtout l’incapacité du haut commandement français. Les généraux avaient du courage, quelques-uns mêmes de la culture et de l’esprit, mais ils n’avaient aucune doctrine commune sur la guerre : ils semblaient ignorer les méthodes les plus essentielles. Ni ils ne se servaient de leur cavalerie pour s’éclairer au loin et prévenir les surprises : ni ils ne savaient marcher au canon pour soutenir les autres chefs engagés. Soldats d’un régime d’aventure, qui n’avait laissé subsister d’autre loi que l’égoïsme, ils étaient bien capables d’un geste éclatant, d’un effort héroïque et illustre : mais ils ne connaissaient pas le sentiment profond de la solidarité militaire et nationale.

Un système d’idées communes sur la conduite des grandes opérations aurait pu corriger un peu cette dispersion des consciences. Mais ce système leur faisait défaut. Tous n’étaient pas ignorants, mais les meilleurs croyaient que l’inspiration individuelle suffit à tout à l’heure du danger. En fait, paralysés par le désordre de leur armée, par leur ignorance de la grande guerre, ils n’eurent même pas ces qualités d’initiative, d’audace et d’élan qui semblaient jusque-là les caractéristiques de la race française. Dans les premiers chocs, la vigueur d’offensive est beaucoup plus grande dans l’armée allemande que dans l’armée française. Frossard, à Forbach, même dans la partie de la journée où il avait la supériorité numérique et l’avantage, ne sut pas attaquer. Au contraire, les Allemands n’attendirent pas d’être en nombre pour livrer aux hauteurs de Spickeren le plus téméraire assaut : ils lancèrent même leur cavalerie à l’escalade.

M. Picard croit que c’est une idée fausse sur la valeur absolue du terrain qui perdit les généraux français. On s’imaginait qu’il y avait des positions qui, en soi, étaient bonnes : et que si on pouvait encore les couvrir de retranchements, le mieux était de se barricader dans une défensive inexpugnable. Ce fut l’erreur commise à Forbach : peut-être la cause première de la fausse manœuvre qui immobilisa l’armée de Bazaine autour de Metz. Ainsi, les forces françaises perdaient leur ressort d’offensive et leur qualité de mouvement. Mais, sans aucun doute, ce préjugé technique n’aurait pas prévalu si l’esprit des chefs n’avait pas été paralysé par les causes multiples qui leur insinuaient le doute : la faiblesse numérique de l’armée, le défaut d’organisation et leur propre ignorance. Tout cela, c’était la conséquence et l’expression de la débilité même du régime, qui n’avait su ni prévoir, ni vouloir, ni organiser.

Il est puéril de prétendre, comme le font volontiers les apologistes de l’Empire, que ce sont les républicains qui ont rendu impossible, par leurs