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un parti pris de mensonge. En quel état d’affolement étaient-ils donc ? et quelle forme confuse le duc de Gramont avait-il donnée à son exposé ? Il est prodigieux que la Commission n’ait pas songé à vérifier sur les pièces même, un fait dont elle-même proclamait l’importance capitale, un fait qui devait la surprendre, car il était contraire à tout ce qu’on avait su jusqu’alors ; elle le reconnaît encore. et il est prodigieux aussi qu’en séance, devant la Chambre, aucun ministre, aucun, ne se soit levé de son banc pour avertir M. de Talhouet de son erreur.

M. de Gramont avoue (et comment pourrait-il faire autrement ?) la matérialité de l’erreur. Mais il allègue qu’au fond il avait toujours voulu la même chose ; qu’au demeurant il n’était pas présent à la séance quand le rapport fut lu. Que faisait-il donc ? et pouvait-il se désintéresser ainsi du rapport de la Commission ? Mais quand il est arrivé en séance, il ne s’est donc trouvé personne, ni parmi les ministres, ni parmi les députés, pour appeler son attention sur la déclaration sensationnelle de M. de Talhouet ? Et les autres ministres, qui étaient là sans doute, pourquoi n’ont-ils rien dit ? La plupart d’entr’eux, dans le conseil du 15, avaient exprimé leur surprise de la dépêche envoyée par M. de Gramont le 12 au soir. Ils savaient donc bien qu’il s’était produit ce jour-là quelque chose de nouveau. Mais M. Émile Ollivier, il était là lui, il a entendu M. de Talhouet. Et il savait bien que, dans la première phase des négociations, la France n’avait demandé que le retrait de la candidature. Il le savait bien puisque, dans la journée du 12, au reçu de la dépêche espagnole, il s’écriait : « C’est la paix ! », et qu’il n’aurait pu parler ainsi si une revendication essentielle était restée en souffrance. Il savait bien, lui, que c’est à Saint-Cloud que fut décidé, le 12, l’envoi de la dépêche sur les garanties. Il se rappelait bien que cette dépêche l’avait d’abord inquiété, et il avait insisté pour que, dans une dépêche nouvelle qui partit, en effet, dans la nuit, un paragraphe fût introduit sur les intentions pacifiques de la France. Il ne pouvait avoir oublié tout cela. C’était, dans les négociations, le point de crise, le point brûlant. Pourquoi a-t-il permis que l’extraordinaire méprise de la Commission se prolongeât ? C’est que, en avertissant la Chambre de la monstrueuse erreur, ils auraient mis en pleine lumière la faute capitale de leur politique. C’est qu’ils auraient souligné le changement survenu le 12 dans les exigences de leur diplomatie. C’est qu’ils auraient donné raison, devant la Chambre, à M. Thiers. C’est qu’ils auraient ainsi frappé de discrédit toute l’œuvre d’une Commission capable d’aussi énormes méprises, et la Chambre pouvait se demander si des hommes assez aveuglés, assez affolés pour commettre une erreur matérielle aussi formidable, avaient le sang-froid nécessaire pour évaluer la quantité d’outrage que contenait la communication de M. de Bismarck aux puissances. Sur ce point, voici ce que la Commission disait : « Votre Commission a voulu prendre et a reçu communication de dépêches émanant de plusieurs de nos agents diplomatiques dont les termes sont uniformes et confirment, comme il a été déclaré au