Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/229

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand l’incident « de famille » fut clos par la décision suggérée au prince Antoine, M. de Bismarck prit la route d’Ems. Venant de Varzin, il devait traverser Berlin. Il y arriva le 12 juillet. À ce moment précis, la situation était très difficile pour lui. Il savait que le retrait de la candidature Hohenzollern était décidé, qu’il allait être annoncé au monde ou même qu’il l’était déjà ; et c’était pour lui un échec très grave. Et il ne pouvait connaître encore les imprudences que M. de Gramont accumulait à Paris dans l’après-midi du 12, remise de la note à M. de Werther, exigence de la garantie, et qui allaient lui permettre de rebondir et de prendre l’offensive. Il était donc condamné ou à subir sans résistance le désastre moral de sa politique, ou à rouvrir le conflit par un coup d’audace qui ressemblerait à une provocation et pour lequel il n’était pas sûr de l’assentiment du Roi. Il était résolu ou à l’obtenir ou à se démettre, et il écrivait à sa femme que, sans doute, quand il rentrerait bientôt à Varzin, il ne serait plus ministre. Cependant, avant d’aller jouer à Ems cette partie suprême auprès du Roi, il voulut recueillir des observations et des impressions, se donner quelques heures pour former son plan, et, prétextant la fatigue du voyage par ces chaudes journées de juillet, il s’arrêta à Berlin.

Du fond de sa solitude inquiète, il avait perçu l’agitation des esprits en France. Il savait que le duc de Gramont était un sot, et il comptait sur une maladresse du noble duc ; il voulait d’ailleurs savoir quelle était la situation de l’Allemagne, s’il serait soutenu par le sentiment national dans une démarche hardie ; préparer aussi, par des conversations avec les ambassadeurs, l’opinion de l’Europe. Dès le 13, il découvre audacieusement à l’ambassadeur d’Angleterre, lord Loftus, tout son plan d’attaque. Il allait droit ainsi, selon son habitude, à la difficulté principale. Car c’est l’Angleterre qui avait marqué le plus nettement sa désapprobation de la candidature Hohenzollern ; non point par un parti pris favorable à la France, mais par souci de l’équité internationale et de la paix. Pour la ramener, il avait en main un moyen terrible, mais qu’il tenait en réserve : c’était le projet de traité écrit de la main de Benedetti, et où la France demandait à la Prusse la Belgique. L’heure n’était pas encore venue de produire cette carte. Mais ce qui enhardissait M. de Bismarck, c’est que le bruit lui était parvenu, sous une forme encore vague il est vrai et inexacte, que le duc de Gramont ne se contentait pas de la satisfaction obtenue : c’est la France qui allait devenir pour l’Europe le boutefeu. Aussi comme il s’applique à donner à la Prusse une apparence de volonté pacifique, tout en découvrant son implacable dessein d’offensive et de guerre ! Lord Loftus écrit le 11 juillet au comte de Granville, son ministre des affaires étrangères :

« J’ai eu aujourd’hui une entrevue avec le comte de Bismarck et j’ai félicité Son Excellence sur la solution vraisemblable de la crise actuelle par suite de la renonciation spontanée du prince de Hohenzollern.

« Son Excellence a paru douter que cette solution pût aplanir le différend