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à Saint-Cloud même. Pourquoi y ajouter quelque chose tant qu’un événement nouveau ne s’est pas produit ? et pourquoi l’Empereur semble-t-il se préoccuper d’accentuer cette dépêche, mais dans certaines limites ? Est-ce qu’une hypothèse plus violente, plus agressive a été examinée ? et Napoléon a-t-il lieu de prévoir que le duc de Gramont sera entraîné à accentuer la dépêche convenue au delà de ce que Napoléon lui-même juge prudent ?

Ces journées tragiques sont pleines d’énigmes dont nul encore n’a essayé de donner le mot. En tout cas, le revirement de l’Empereur est complet et sa responsabilité est capitale. En quelques heures, il a changé de politique. Il acceptait, à 3 heures de l’après-midi, la solution du désistement ; un peu après, il le regrette, et il marche avec le duc de Gramont vers la catastrophe. C’est d’ailleurs pour couvrir, ou tout au moins pour diviser sa responsabilité que celui-ci cite, dès 1872, et avec la permission loyale de l’Empereur, la lettre de celui-ci.

Or, en ce soir tombant du 12 juillet, à peu près à l’heure où le duc de Gramont télégraphiait à Benedetti la dépêche des garanties, Benedetti, qui ignorait encore la communication espagnole, télégraphiait ceci au duc de Gramont : « Ems, le 12 juillet, 6 heures du soir : Le Roi vient de me dire qu’il avait reçu une dépêche télégraphique qui lui annonçait que la réponse du prince de Hohenzollern lui parviendrait indubitablement demain matin. Il a ajouté qu’il me ferait demander dès qu’elle serait entre ses mains.

« M. de Bismarck est attendu demain à Ems. Si tel est votre avis, je vous prie de m’autoriser à partir immédiatement dans le cas où la communication que le Roi me fera demain ne serait pas entièrement satisfaisante. Après ce que vous m’avez mandé, je ne voudrais plus accepter aucun délai, à moins que vous m’en donniez l’ordre ».

Évidemment, le roi de Prusse, au risque d’aggraver encore la tension des esprits et des événements, avait manœuvré pour que le retrait de la candidature fût connu du monde entier par l’initiative du prince Antoine et par la communication de l’Espagne avant que lui-même la communiquât à l’ambassadeur français. M. de Gramont l’observe très justement dans son livre. Il est impossible que le prince Antoine ait envoyé au maréchal Prim et livré aux agences la dépêche de renonciation sans en avoir immédiatement averti son souverain. Et quand le roi de Prusse annonçait le 12 au soir que la réponse du prince lui parviendrait le lendemain, il l’avait déjà. Mais, malgré tout, malgré la nouvelle manœuvre, l’heure allait venir où il faudrait bien que le roi de Prusse dise à la France : J’ai appelé l’attention des princes sur l’effet de leur acceptation. Ils renoncent ! et cela suffisait à engager la Prusse devant la France et devant le monde, dans la mesure nécessaire. M. de Gramont n’en jugeait pas ainsi ! et au télégramme de M. Benedetti il ne répondit qu’en insistant dans une nouvelle dépêche sur la nécessité de garanties pour l’avenir. Ce nouveau télégramme fut expédié de Paris à minuit, et M. de Gramont précise