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s’il avait dit que le roi de Prusse avait interrogé le prince Antoine et le prince Léopold, c’est bien du roi de Prusse, malgré son silence, que le désistement aurait paru venir ; et le détour de la nouvelle n’en aurait pas caché la véritable origine. Mais la dépêche du prince Antoine ainsi présentée, toute seule et tardivement, aux passions excitées des uns, aux colères calculatrices des autres, fournissait prétexte trop facile aux belles indignations de fierté. Voilà donc tout ce que le gouvernement avait obtenu ! Le roi de Prusse ne daignait même pas lui donner la moindre garantie ! Et la France n’avait en mains, pour toute réparation, pour toute satisfaction, pour toute sauvegarde, que la dépêche du prince Antoine. Ce fut aussitôt le thème des enragés de la droite autoritaire et de tous les ambitieux, de tous les intrigants en quête d’aventures sinistres. M. Clément Duvernois, surtout, qui ne pardonnait pas à son ancien ami, M. Émile Ollivier, de ne pas l’avoir appelé au ministère, faisait rage et déposait une demande d’interpellation qui fut ajournée au lendemain. Cependant, si M. Émile Ollivier avait répondu avec fermeté, avec habileté, à ces propos de guerre et de délire, il pouvait les refouler encore. À M. Thiers, qui l’adjurait de ne compromettre par aucun éclat le résultat obtenu, il avait répondu d’abord : « Soyez tranquille, nous tenons la paix, nous ne la laisserons pas échapper ». Puis son esprit, sans consistance et sans probité profonde, se laissa émouvoir par les clameurs des forcenés ; et quand il alla, vers trois heures et demie, au quai d’Orsay, pour conférer avec M. de Gramont, il n’y apportait déjà plus une ferme et irréductible volonté de paix. Au lieu de dire : l’incident est clos et il y aurait folie à le rouvrir, il approuve la tentative nouvelle auprès du roi de Prusse ; il joint ses instances à celles de M. de Gramont auprès de M. de Werther et il approuve sans doute le projet de note, si le duc de Gramont a daigné le lui communiquer. Les ministres étaient donc à la dérive. Mais qu’allait faire l’Empereur ? L’ambassadeur d’Italie, M. Nigra, qui était l’ami et le familier des Tuileries, affirme que le premier mouvement de l’Empereur fut de considérer la dépêche du prince Antoine comme la solution du conflit. Napoléon le manda à 3 heures aux Tuileries, et lui montrant la dépêche, il lui dit : « C’est la paix. Je vous ai appelé pour que vous télégraphiez la nouvelle à votre gouvernement. Je n’ai pas eu le temps d’écrire au Roi. Je sais bien que l’opinion publique est si exaltée qu’elle aurait préféré la guerre. Mais la renonciation est une solution satisfaisante et supprime au moins, pour le présent, tout prétexte à hostilité ». Au moment où le souverain tenait ce langage, le duc de Gramont avait déjà, par sa demande d’excuses, rouvert le conflit. Voilà où en était « le pouvoir fort ». Et combien de temps, d’ailleurs, se maintiendrait la volonté de l’Empereur lui-même ?

Il alla à Saint-Cloud, où était l’impératrice. Le duc de Gramont y alla aussi, et c’est dans cet entretien, qui dura une heure environ, que fut prise la décision fatale de ne pas se contenter du retrait de la candidature Hohenzollern, même approuvée par le roi de Prusse, mais de demander encore à