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était son œuvre. » Et il discute en chicaneau dépité tous les termes du télégramme, comme si le retrait de la candidature ne valait point par la seule force du fait !

C’est dans cette disposition d’esprit et méditant une revanche qu’il reprit avec l’ambassadeur de Prusse l’entretien un moment suspendu par la communication urgente de M. Olozaga. Et, tout de suite, il s’applique à engager à fond le roi de Prusse. Précisément, M. de Werther proteste que celui-ci n’a aucune intention agressive ou hostile ; que, s’il a autorisé la candidature de son cousin, c’est sans aucune arrière-pensée mauvaise à l’égard de la France. Le grand diplomate eut alors une idée de génie. Puisque l’ambassadeur de Prusse se porte garant des bons sentiments de son souverain, pourquoi ne se chargerait-il pas d’obtenir que celui-ci donne forme à ces sentiments ? Ce qu’on n’avait pu obtenir par M. Benedetti, on l’aurait par M. de Werther, et ce serait l’habileté suprême. Il suggéra donc à celui-ci les termes d’une déclaration que pourrait faire le roi de Prusse, et, de peur que le roi de Prusse n’en disposât pas le texte tout à fait au gré de M. de Gramont, celui-ci voulut bien prendre la peine de la rédiger lui-même ; et il remit à M. de Werther, le 12 juillet, sur le coup de 3 heures, un bon petit projet ainsi conçu : « En autorisant le prince Léopold de Hohenzollern à accepter la couronne d’Espagne, le roi ne croyait pas porter atteinte aux intérêts et à la dignité de la nation française. Sa Majesté s’associe à la renonciation du prince de Hohenzollern et exprime son désir que toute cause de mésintelligence disparaisse désormais entre son gouvernement et celui de l’Empereur. »

Que l’ambassadeur prussien ait reçu cette note, qu’il ait accepté même un instant de la transmettre, cela ne peut guère s’expliquer que par la force pacifique des instructions qu’il avait reçues à Ems. Plus le roi manœuvrait pour se dégager personnellement, plus il lui importait de bien persuader à la France qu’il n’avait eu aucune arrière-pensée offensante ou hostile. Ayant abondé en ce sens, M. de Werther crut pouvoir accueillir le projet de note que M. de Gramont lui remettait. Mais que celui-ci n’ait pas pressenti un instant que cette note ne pouvait être interprétée par le vainqueur de 1866 et par son ministre, que comme une formule d’excuses, cela passe l’esprit. Il affirme qu’il n’y a pas pensé, et il faut le croire ; mais il faut ajouter tout de suite ce que disait M. de Bismarck : Cet homme est stupide. Ainsi, au retrait de la candidature, qui lui parvenait de Sigmaringen par le circuit de Madrid, mais qui n’avait pu se produire sans le consentement du Roi, il répondait immédiatement, le vaniteux niais, en demandant au Roi une lettre directe, et en la rédigeant lui-même. C’est cette ineptie infatuée qui disposait de la France : le coup irréparable était porté.

Pendant que se jouait au Quai d’Orsay ce drame, la nouvelle, imprudemment colportée au Palais-Bourbon par M. Émile Ollivier, y soulevait un orage. Si le gouvernement avait tenu le Corps législatif au courant des négociations,