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demain, nous considérerons le silence ou l’ambiguïté comme un refus de faire ce que nous demandons ». Le 12 juillet, à 2 heures, il consent à attendre un peu : « Nous ne pouvons refuser au roi de Prusse le délai qu’il nous demande ; mais nous espérons que ce délai n’atteindra pas au-delà d’un jour ». Mais ce qui est grave, c’est qu’en même temps, il lui suggère très confidentiellement une tentative redoutable : « Employez toute votre habileté à constater que la renonciation du prince de Hohenzollern vous est annoncée, communiquée ou transmise par le roi de Prusse ou son gouvernement. C’est pour nous de la plus haute importance. La participation du Roi doit à tout prix être consentie par lui ou résulter des faits d’une manière suffisante ». C’est du moins le texte donné par M. Benedetti. M. de Gramont déclare qu’il avait écrit non pas suffisante mais saisissable et que le mot est plus fort ! Soit ; mais qui ne voit que c’est du fait même de la renonciation du prince Léopold que résultait l’intervention du Roi, comme elle avait résulté du fait seul de l’acceptation du prince ?

L’habileté, voire même « l’adresse » (car M. de Gramont précise encore qu’il avait ajouté ce mot), aurait consenti à prendre acte de la renonciation et à y voir (sans d’ailleurs intéresser l’amour-propre du roi) un signe de ses intentions pacifiques et de son désir de maintenir avec la France des relations correctes et courtoises.

Mais si le duc de Gramont n’était pas un fourbe feignant de vouloir la paix et la suspendant à des exigences qu’il savait irréalisables, c’était un niais, puisqu’il dépréciait systématiquement la satisfaction réelle qu’il allait recevoir pour en solliciter une autre qu’il ne pouvait atteindre.

Or les événements allèrent tout au rebours de ses vaniteuses combinaisons. Ce n’est pas par le roi de Prusse que la France apprit tout d’abord le désistement du prince Léopold. Le 12 juillet, dans l’après-midi, comme M. de Gramont commençait à s’entretenir avec le baron de Werther à peine arrivé d’Ems, l’ambassadeur d’Espagne à Paris demande à être reçu à l’instant. Il était environ trois heures à trois heures moins un quart. Il y avait trois quarts d’heure à peine que le duc de Gramont venait de télégraphier à M. Benedetti pour engager le roi de Prusse le plus possible, et voici ce que l’ambassadeur espagnol, M. Olozaga, communiquait au duc de Gramont. Il avait reçu du prince Antoine une dépêche venue de Sigmaringen et datée du matin 10 h. 28 : « Je crois de mon devoir de vous informer, comme représentant d’Espagne à Paris, que je viens d’expédier à Madrid au maréchal Prim, le télégramme suivant : « Maréchal Prim, Madrid : Vu les complications que parait susciter la candidature de mon fils Léopold au trône d’Espagne et la situation pénible que les derniers événements ont créée au peuple espagnol, en le mettant dans une alternative où il ne saurait prendre conseil que du sentiment de son indépendance, convaincu qu’en pareille circonstance son suffrage ne saurait avoir la sincérité et la spontanéité sur lesquelles mon fils a compté en acceptant la candidature, je la retire en son nom. »