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les dynasties qui croulent, c’est pour faire respecter sa République à lui. »

Qu’importe que la paix soit une humiliation ? le gouvernement de l’Empire n’a pas droit à l’honneur et il a d’ailleurs l’habitude de capituler.

« Malgré cela, écrit F. Faure dans le Réveil, nous pensons que, comme son intérêt personnel pourrait en souffrir, le chef de l’État n’engagera pas facilement une guerre contre l’Europe entière, unie contre nous dans un même sentiment, grâce aux habiletés de la politique bonapartiste, et qu’il n’hésitera pas, comme après Sadowa, comme après l’affaire du Luxembourg, à désavouer les trop belliqueuses déclarations de son ministre. Peu importe au ministère une humiliation de plus ou de moins ! Et notre diplomatie, partout dupée depuis dix ans, n’aura que peu à perdre à ce nouvel échec. »

Mais Delescluze lui-même, tout en conseillant, tout en exigeant la paix dans l’intérêt de la liberté, défiait la Prusse et les Hohenzollern, au nom de la France de l’avenir : « Nous savons aussi bien que personne que, fidèle aux traditions envahissantes de sa race, enivrée de ses faciles victoires de 1866, la maison de Hohenzollern aspire à fonder sa grandeur sur l’anéantissement de la liberté européenne, et qu’elle ne poursuit pas d’autre but en soumettant d’abord l’Allemagne entière à son hégémonie. Aussi, vienne le jour où, ne relevant que d’elle-même, la France aurait à se défendre de ses attaques, et l’on verra si la démocratie n’est pas la première au combat. Jusque-là son unique, son impérieux devoir est de conjurer des conflits préparés par les rois et dont l’issue, quelle qu’elle soit, ne peut être que défavorable à la liberté, puisque la victoire, où qu’elle se portât, ne servirait que le militarisme monarchique. »

Mais ces premiers bouillonnements révolutionnaires n’auraient-ils pas dû avertir encore M. Émile Ollivier de l’urgence d’agir ; et que faisait-il donc en ces jours critiques ? Il n’y avait pas alors de président du Conseil en titre ; mais c’est pour sa politique qu’avait été formé le ministère du 2 janvier : il était reconnu, en fait, comme le ministre dirigeant. Or, par la guerre et quelle qu’en fût l’issue, c’est toute sa politique qui sombrait : avec la victoire, dans l’absolutisme ; avec la défaite, dans la révolution. À défaut d’un clairvoyant amour de la patrie et de la liberté, l’instinct de conservation ne suffisait-il donc pas à l’avertir ? Ou de quelle paralysie de la volonté et de l’intelligence était-il frappé ? Il ne pouvait pas ne pas voir que ceux qui l’avaient tué par le plébiscite cherchaient à l’engloutir dans la guerre, comme un mort embarqué déjà pour le funèbre voyage et qu’on s’acharnerait encore à noyer dans le Styx. Or, à cette date, dans ces jours critiques du 8, du 9, du 10 juillet et après la première surprise d’imprudence, il pouvait encore réagir. La France presque toute entière voulait la paix et elle aurait soutenu énergiquement le ministre qui, d’une parole mesurée et ferme, aurait dénoncé les agités. L’Empereur lui-même, dans la mesure où on peut dire qu’il avait une volonté, préférait le règlement pacifique du conflit. Malade, incertain, ayant vaguement conscience