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restées en arrière, près de Metz, se furent à leur tour portées en avant, les Français disposaient d’une supériorité numérique triple ou quadruple. Mais il semblerait que le maréchal eût obéi à une pensée unique qui était de ne pas permettre à l’ennemi de l’isoler de Metz. Aussi se préoccupa-t-il presque exclusivement de son aile gauche, si bien qu’il finit par entasser toute la garde impériale et une partie du sixième corps en face du bois des Oignons, d’où aucune attaque ne fut dirigée contre lui. On est tenté d’admettre que c’étaient exclusivement des considérations politiques qui, dès ce jour, amenèrent le maréchal Bazaine à prendre la résolution de ne pas s’éloigner de Metz. »

Quel était ce calcul politique de Bazaine ?

Il haïssait l’empereur qui, mécontent de sa conduite au Mexique, ne lui avait pas fait rendre à son retour les honneurs auxquels il s’attendait et il marqua sa satisfaction, au moment où celui-ci quitta l’armée du Rhin pour aller à Châlons. Bazaine avait-il prévu dès lors l’effondrement de la dynastie sous le poids de la défaite ? Voulait-il rester en quelque sorte à part de ce grand désastre et, avec une force à peu près intacte appuyée à une grande place de guerre, demeurer l’arbitre de l’avenir, le maître des combinaisons et des aventures ? Peut-être aussi y avait-il en lui lourdeur d’esprit et de volonté. Les terribles défaites que venait de subir l’armée de Mac-Mahon l’avaient sans doute effrayé et, incapable de conduire lui-même une grande armée, ne voulait-il pas risquer à découvert une épreuve décisive.

Quand, après l’ardente bataille du 16, le soir tomba sur les combattants, le résultat, mêlé pour les deux armées de succès partiels et de défaites partielles, restait incertain. À aucun moment de la journée Bazaine n’avait concentré ses forces contre un ennemi encore très inférieur en nombre, mais l’armée pensait que la lutte serait reprise le lendemain à l’aube. Il n’en fut rien. Le maréchal Bazaine, alléguant la nécessité de la réapprovisionner en vivres et en munitions, lui fit commencer un mouvement de retraite vers Metz. Mais l’état-major allemand utilisa cette journée ; il hâta le mouvement de ses troupes ; des renforts passèrent la Moselle et le 18 au matin 120,000 soldats allemands, armés d’une artillerie supérieure, se déployaient contre 120,000 soldats français.

L’armée française faisait face à l’ouest, l’armée allemande qui avait achevé son mouvement tournant faisait face à l’est. L’armée française occupait, de gauche à droite, les fortes positions de Gravelotte, d’Amanvilliers, de Saint-Privat. Ladmirault, Frossard, Canrobert commandaient. Ici encore, comme à Forbach, les troupes françaises, protégées à la fois par les escarpements de terrain et par les tranchées-abri restent sur la défensive, une défensive d’ailleurs héroïque et furieuse. Ce sont les Prussiens qui livrèrent l’assaut avec un courage, un élan et une obstination admirables.

Cet assaut aurait pu être repoussé si le maréchal Bazaine avait surveillé l’ensemble de la bataille et avait porté ses réserves sur les points menacés et en particulier sur sa droite ; mais il resta inerte et comme indifférent. Et le