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s’y était lié à l’aristocratie autrichienne ; il ne rêvait que de préparer contre M. de Bismarck et contre la Prusse la revanche commune de l’Autriche et de la France. Et, en même temps, il s’obstinait à défendre le pouvoir temporel du pape ; et la politique qui allait jeter la France contre la Prusse privait délibérément la France de l’alliance italienne. C’était la folie d’un esprit étroit et infatué ; c’était la contradiction violente de toutes les idées, de toutes les paroles de M. Émile Ollivier. Qu’il ait subi cela, qu’il ait permis que le destin de la France, en une heure difficile et trouble, fût livré à ces mains, c’est le signe ou d’un aveuglement inexcusable, ou d’un entêtement vaniteux et criminel à garder le simulacre du pouvoir dans l’humiliation de toute sa pensée. Comment pourra-t-il tenter d’expliquer cela ? Je regrette d’écrire ces lignes avant que M. Émile Ollivier ait fait paraître la partie de ses œuvres qui a rapport aux événements de 1870. Mais j’ai beau chercher par quelles raisons M. Émile Ollivier a pu être conduit à subir M. de Gramont, je ne puis voir en cette soumission qu’une irrémédiable déchéance de l’esprit ou de la conscience.

Depuis 1869, un projet d’entente entre la France, l’Italie et l’Autriche était en suspens. À peine ébauché à la fin de 1868, il s’était précisé de mars à septembre 1869. Le difficile ne fut pas, comme le remarque M. Émile Bourgeois dans son étude très documentée sur Rome et Napoléon III, de rapprocher l’Italie et l’Autriche. L’Autriche n’avait plus rien à perdre en Italie, et j’ai déjà dit que M. de Beust, en lutte avec le cléricalisme autrichien, n’avait aucune raison de se faire le gardien du pouvoir temporel de la papauté. L’Autriche avait un grand intérêt, pour toutes ses combinaisons ou en Allemagne ou en Orient, à pouvoir compter sur la bienveillance de l’Italie. Et si d’autre part, il y avait, pour l’Italie, double avantage à se rapprocher de l’Autriche. En obtenant pour l’occupation éventuelle de Rome, le consentement, du moins tacite, et la neutralité amie de la puissance qui avait représenté le plus étroitement jusque-là la tradition catholique, l’Italie accroissait singulièrement ses chances. De plus, elle espérait, par l’Autriche, amener la France à accepter sa politique romaine. L’empereur d’Autriche, oubliant ses ressentiments, rendit visite, à Venise, en 1869, au roi Victor-Emmanuel ; le roi d’Italie fut très touché de la démarche, et il dit ces paroles, rapportées par M. de Beust : « Après ce que l’Empereur a fait, il peut disposer de ma personne, de ma vie. Je lui donne cinq cent mille hommes le jour où il les voudra ». Cependant, l’Autriche hésitait à s’engager dans un traité d’alliance offensive. Elle ne voulait pas courir les aventures en Allemagne. Mais une alliance simplement défensive eut été pour la France une garantie sérieuse, et M. Rouher se rangea au projet d’entente formulé par l’Autriche et qui stipulait en trois articles que les trois puissances se promettaient un mutuel concours pour la défense de la paix et pour l’intégrité de leur territoire, et s’engageaient aussi à ne négocier avec aucune puissance sans s’être mutuellement prévenues. Mais, même dans ces termes, la