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était de nature à la faire hésiter. C’était elle qui paierait seule les frais de la guerre entreprise avec la France. Mais ce n’est certainement pas à un jeu de diplomatie que se livrait le chef de l’État-Major : c’était bien un travail militaire sérieux et répondant à l’hypothèse la plus probable qu’il avait préparé. Mais qu’on le remarque : Ce plan militaire suppose que c’est la France et l’Autriche qui attaqueront ; car d’abord, dans ce système, la Prusse n’affaiblit pas la France, elle ne lui enlève aucune parcelle de son sol, et en laissant se constituer, à côté de l’Allemagne, un gouvernement de démocratie révolutionnaire, elle crée au conservatisme prussien des difficultés prochaines. Surtout l’Allemagne n’aurait pas pardonné à la Prusse de provoquer l’Autriche et de livrer aussitôt aux armées autrichiennes, ne fût-ce qu’un moment, l’accès de la terre allemande et de la capitale du Nord. La Prusse ne pouvait jouer ce jeu si dangereux que soutenue par l’unanimité patriotique de l’Allemagne : et pour cela il fallait qu’aux yeux de tous les Allemands l’agression vînt de la France et de l’Autriche.

Mais s’il est infiniment probable que M. de Bismarck ne voulait pas provoquer lui-même les hostilités, il se lassait sans doute tous les jours davantage de la politique expectante. Bien loin de franchir vers la Confédération du Nord le pas décisif, les États du Sud hésitaient, se réservaient et même reculaient. Le roi de Bavière avait refusé d’aller avec le roi de Wurtemberg voir le roi de Prusse. Surtout les unitaires subissaient en Bavière, dès les élections du début de 1869, un grave échec. La coalition des cléricaux et des démocrates anti-prussiens l’emportait ; et ce succès inspirait à M. de Hohenlohe, dans son journal du 26 février 1869, des réflexions pessimistes : « Quiconque observe exactement la situation de l’Allemagne du Sud, reconnaîtra aisément que le danger pour l’Allemagne réside de plus en plus dans l’éloignement croissant de l’Allemagne du Sud et de l’Allemagne du Nord. Plus se resserre le lien qui unit les États de la Confédération du Nord, plus il devient difficile aux Allemands du Sud de se familiariser avec l’idée d’une entente avec le Nord. L’aversion nationale des Allemands du Sud par l’unité prusso-allemande est un fait qu’on ne peut nier. Cet éloignement a beaucoup grandi depuis 1856, et tous les ennemis de la Prusse et de l’Allemagne utilisent cette disposition pour élargir le fossé tous les jours davantage. Ainsi les États du Sud seront conduits peu à peu à prendre une position hostile à l’égard du Nord ; et, si éclate une catastrophe souhaitée par tous les ennemis de la Prusse, il est à craindre que l’Allemagne du Sud soit séparée de façon durable de l’Allemagne du Nord. »

Dans cet esprit de défiance, les États du Sud n’accepteraient pas de s’unir avec la Confédération du Nord, si eux-mêmes n’avaient pas la force et la garantie d’un Parlement commun du Sud capable de faire équilibre à celui du Nord ; mais, précisément, ce Parlement du Sud effraie maintenant les hommes comme M. de Hohenlohe, car ce sont les passions extrêmes qui y domineraient : l’alliance des cléricaux et des démocrates met en péril toute politique