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confondait avec l’intérêt national de l’Italie. M. Émile Ollivier pouvait-il assurer, en 1869, que l’Empire confondait son avenir avec celui de la démocratie libérale ? Pouvait-il assurer que lui-même, Émile Ollivier, aurait licence d’être le Cavour de la liberté française ? Il y a dans ces rapprochements ingénieux et factices, je ne sais quoi de troublant : c’est la marque ou de la fausseté de l’esprit ou d’une habileté équivoque de la conscience cherchant à se duper elle-même.

Puis, M. Émile Ollivier avait vraiment trop peur de la Révolution ; il le disait trop. Comment fermer ainsi à la France captive toute issue révolutionnaire, quand il ne savait pas, quand il ne pouvait pas savoir si l’issue constitutionnelle et légale lui serait ouverte, et si le libéralisme de l’Empire serait une solution ou une comédie ? Il se livrait lui-même et répudiait devant le césarisme énigmatique et ambigu, le droit de la Révolution.

Ce qui est grave aussi, c’est que déjà à plus d’un signe se révèle un fond d’inconsistante étourderie. Il n’a pas une impatience fébrile du pouvoir, mais on ne sent pas en lui cette fermeté calme et patiente qui sait faire ses conditions. Lorsque, en 1867, Walewsky vient le pressentir et lui demander d’accepter éventuellement le pouvoir pour une politique libérale, il refuse d’abord, puis il se décide à accepter, et il est visible, par son récit même, que lorsqu’il va aux Tuileries il est prêt à recevoir un portefeuille. C’est Napoléon qui ajourne. Et pourtant, à cette date, avant les élections de 1869, avait-il la moindre chance de faire prévaloir une politique vraiment libérale ? Enfin, cet homme, qui amnistie l’Empire et ses crimes, est d’une sévérité implacable pour les républicains restés fidèles à la protestation intransigeante. L’homme qui s’engage dans des chemins aussi difficiles, l’homme qui inaugure une politique qui peut procéder d’une vue supérieure de l’esprit et d’un haut désintéressement, mais qui peut émaner aussi des impatiences de l’ambition, cet homme-là doit s’attendre à être détesté, à être maudit par ses compagnons de la veille. Ils sont tentés de ne voir que vanité et félonie là où il voit sans doute l’acceptation d’un devoir supérieur. Il n’a pas le droit de leur en vouloir. Même s’ils se trompent, surtout s’ils se trompent, il doit respecter la sincérité de leur indignation et attendre du temps, des conséquences de son propre effort, la lumière de justice. Mais, parce que, aux élections de 1869, les électeurs de Paris se détournent de M. Émile Ollivier, il a un tel emportement de colère et de haine, une si violente révolte d’orgueil meurtri et de vanité blessée, qu’il est tenté, tout un soir (il le raconte lui-même) d’aller trouver Napoléon III et de lui dire : Je vous ai trompé : la liberté n’est pas faite pour ces hommes ; ils en sont indignes et incapables. C’est le cri d’un esprit médiocre et d’une petite âme ; et quelle force aura le lendemain M. Émile Ollivier pour imposer à l’Empire hésitant et lassé la liberté légale, si lui-même se refuse à comprendre les révoltes persistantes des consciences républicaines ? Qu’il absout le 2 décembre, la violation du serment, l’égorgement prémédité de la liberté et de la loi, la déportation et le