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même temps, au fond du cœur de chacun de ses concitoyens, couve un secret sentiment qui s’y est développé avec le culte de la patrie, avec les souvenirs historiques, et qui la pousse forcément vers la conquête. Un jour peut-être cette nation sera appelée, non plus seulement dans les Conseils, mais sur les champs de bataille, à devenir notre rivale. »

« Souffrir, sans s’y opposer, son téméraire agrandissement, ce serait une faute énorme que la France ne doit pas commettre.

« Je dirai que telle est la tendance de la Prusse et qu’il pourrait arriver qu’un jour elle eût sous la main 10 millions d’hommes à nous opposer.

«… Ni les principes de Frédéric II, ni ses procédés ne sont oubliés en Prusse ; l’école a encore des disciples et des imitateurs, et sans vouloir prononcer dans cette enceinte aucune parole indiscrète contre cet homme d’État qui est à la tête des affaires de ce pays, qu’il me soit permis de dire de lui cependant qu’il a hérité et de l’audace de ce maître et en même temps de son dédain des hommes, de son mépris des lois constitutionnelles qui régissent son pays. Quand il affiche hautement ses idées de conquête et qu’il commence à les mettre à exécution, la France doit avoir l’œil ouvert sur ces entreprises, et ce serait une incroyable faiblesse de notre part que d’abdiquer par des paroles de renoncement philosophique semblables à celles que nous rencontrons dans le discours du trône.

« Encore une fois, ce que je lui demande, ce n’est pas une déclaration de guerre ; non, la France peut faire mieux. Elle peut ne pas marquer pour M. de Bismark de prédilection particulière et je conseille à mon pays, au lieu de pencher vers lui, d’aller au contraire à l’élément libéral qui le contient et le modère, qui représente la force vive. Au lieu de permettre que la main de cet homme d’État tienne l’épée qui est tournée contre la liberté prussienne, il faut aller à celle-ci pour l’intéresser à nos destinées par nos paroles de sympathie.

« Non, Messieurs, que je veuille la propagande ; mais la France a d’autres moyens d’action.

« Je parlais tout à l’heure de la légitime influence qui appartient à la Prusse dans toute l’Allemagne : elle est due au génie civilisateur de son peuple, elle est due à la profonde érudition de ses savants ; elle est due à la hardiesse de leurs conceptions et aussi à la ténacité de ses hommes d’État.

« Et cependant nul ne conteste que le sabre qu’elle traîne derrière elle avec affectation n’éveille les susceptibilités des puissances secondaires qui l’entourent. Nous les avons peut-être trop dédaignées. Messieurs, et si nous consultons les traditions de l’histoire, tout aussi bien que les règles du bon sens, il ne nous est pas difficile d’apercevoir que là sont nos alliés naturels. (Marques d’approbation autour de l’orateur.)

« Ce n’est point par les critiques que nous devons aigrir leur mécontentement, et chercher à grossir autour de nous les rangs des alliés que l’opposition seule nous donnerait ; c’est par la vérité, c’est par la justice, c’est par la liberté.