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vraiment œuvre nationale. L’Autrichien était l’étranger : c’était le Tedesco qui ne se maintenait sur le sol italien que par la force de ses garnisaires. Mais l’Autrichien, qui était l’étranger en Italie, ne l’était pas en Allemagne. L’Autriche était, pour une part, une puissance allemande. Elle était un élément de la Confédération germanique et lorsque la Prusse la rejetait de la Confédération, c’était bien une œuvre nationale allemande, car par là l’Allemagne échappant à la dualité d’influences qui la paralysait, pouvait enfin organiser sa vie, mais ce caractère national était beaucoup moins évident qu’en Italie, et l’ambition d’une monarchie particulière, de la maison des Hohenzollern, ne pouvait pas se couvrir d’un aussi beau prétexte de patriotisme que l’ambition de la monarchie piémontaise. C’est ce qu’indiquait Garnier Pagès quand, dans l’interpellation du 4 décembre 1867, il élevait des objections contre la politique de M. de Bismarck :

« On a voulu établir une comparaison entre l’Italie et la Prusse, on a dit que la Prusse cherchait à réaliser ce qu’avait fait l’Italie, que l’ambition de M. de Bismarck avait en Italie un précédent qui l’autorisait en Allemagne, mais la comparaison n’est pas possible. L’Italie cherchait à chasser l’étranger, tandis que le roi de Prusse cherchait à s’imposer par la force, et, la preuve, c’est que l’armée italienne était reçue avec ivresse dans toutes les villes. »

De plus, le mouvement national italien, malgré toutes les transactions et tous les ménagements, affaiblissait la papauté, et par là (du moins on pouvait le croire), la puissance universelle de cette Église qui avait été en France l’ouvrière de contre-révolution, qui avait fomenté et béni les coups d’État. La victoire de la Prusse protestante sur la catholique Autriche, quoiqu’elle diminuât le prestige du catholicisme en Europe, n’avait pas la signification et la valeur de la révolution italienne.

Et encore l’action de la Prusse en Allemagne avait commencé par cette affaire des duchés, qui rebutait la conscience par un triste amalgame de droit national, de subtilités juridiques et d’hypocrite violence. Il est vrai que le Danemark n’avait pas traité les populations allemandes du Slesvig et du Holstein comme il s’y était engagé à Londres en 1852 ; et la Prusse était l’interprète de toute l’Allemagne quand, à la mort du roi de Danemark, elle revendiquait les duchés pour la Confédération germanique. Mais quand elle s’était substituée ensuite à la Confédération et annexé les duchés, elle avait bien montré que toute œuvre allemande ne valait à ses yeux que sous forme prussienne ; et la faiblesse du Danemark, accablé par des forces supérieures, faisait oublier ce qu’il y avait eu d’inique à l’origine dans ses prétentions. Quelle que fut la rouerie de la maison de Savoie, il n’y avait pas dans le dossier de l’unité italienne un acte aussi déplaisant que cette pièce initiale de l’unité allemande.

Enfin, et comment des républicains, des démocrates français n’auraient-ils pas été sensibles à cette différence ? La part du peuple, de la bourgeoisie démocratique et libérale, avait été bien plus grande dans le mouvement italien que