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nécessaire avec la Prusse, mais qui alarmait, comme une menace équivoque et exaspérante, le sentiment national de l’Allemagne. Il déclarait que la victoire de 1866 avait « épuisé pour des siècles l’ambition de la Prusse » ; il ajoutait que si elle s’avisait de tendre la main vers le Zuiderzée, l’Angleterre et la France lui feraient comprendre « que le temps des folles ambitions était passé ». Il éludait ainsi la question plus directe et plus pressante : Que ferez-vous si la Confédération du Nord franchit le Rhin ? Ou il n’y donnait que des réponses enveloppées. La France n’était pas jalouse de la croissance des autres États, quand cette croissance était conforme au vœu des peuples ; mais elle ne souffrirait rien qui fut contraire à ses intérêts et à sa dignité. Formules vagues et menaçantes, sans habileté comme sans franchise. Comment l’Empire, se réservant de pratiquer à l’occasion la politique de M. Thiers contre l’unité allemande aurait il pu en dénoncer la contradiction et les dangers ? Muant à l’Italie, la politique impériale, condamnée à ménager le parti clérical, se confondait dans la question romaine avec la politique de M. Thiers.

L’insolence de M. Rouher signifiant à l’Italie qu’elle n’entrerait « jamais » à Rome, faisait écho aux insolences de M. Thiers dénonçant comme un délire l’unité italienne.

Grande est la responsabilité de M. Thiers. Son chauvinisme à courte vue et sa pensée surannée, son conservatisme européen, têtu, étroit et infatué sont pour beaucoup dans les désastres de la France et dans le régime d’universelle défiance et de militarisme exaspéré où l’Europe s’épuise depuis quarante ans. Il a contribué beaucoup à créer, à entretenir en Allemagne l’inquiétude et le soupçon qui ont rendu ou nécessaire, ou au moins possible la guerre de 1870. Il a contribué beaucoup à détourner de nous l’Italie. Et si l’unité italienne et l’unité allemande, qui devaient s’accomplir avec nous ou contre nous, se sont accomplies contre nous, M. Thiers en est, pour une part, responsable. Il n’avait pas le pouvoir, mais il était le plus grand, le plus illustre parlementaire et il représentait la tradition libérale ; une partie de la bourgeoisie parlait et pensait par lui. Si l’Empire avait compris, s’il avait entrevu un jour la folie de sa politique ambiguë, toute grosse de désastres, s’il avait été tenté de reconnaître la pleine liberté de l’Allemagne aspirant à l’unité, s’il avait compris aussi qu’il n’avait pas le droit de s’opposer à l’unité italienne, et que Rome pouvait devenir la capitale de l’Italie sans que la liberté personnelle et l’indépendance religieuse du pape fussent menacées, oui, si l’Empire incertain, discordant, tiraillé, et si inconsistant qu’il était capable de clairvoyance presque autant que d’aveuglement, avait eu un jour, une heure, la pensée, le courage de braver les clameurs des rodomonts et les fureurs des cléricaux, et s’il avait tendu la main de la France, loyale et grande ouverte, à la nation allemande, à la nation italienne, la politique rétrograde et les déclamations contre-révolutionnaires de M. Thiers lui auraient rendu ce geste plus difficile et plus périlleux.

Hélas ! plus tard, trop tard, M. Thiers sera bien obligé de reconnaître, sinon