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furent condamnées par les Sages et qui ont pris corps autour de nous ! Encore n’ai-je point mentionné toutes celles qui, après avoir figuré au pro-gramme de la Deuxième République, sont prêtes à éclore au soleil de la troisième ![1]

Pauvres utopistes de Quarante-Huit ! Ils ont eu le sort réservé à la plu-part des inventeurs, des frayeurs de sentiers. Ils ont été méconnus, maltraités, décriés. Victimes de légendes malveillantes, imaginées par ceux dont ils ont bousculé les préjugés et inquiété la suprématie, ils ont aussi essuyé les dédains injustes de ceux qui ont repris leur œuvre avec d’autres méthodes et d’autres formules. Le peuple, ingrat par ignorance, a laissé faire. Mais il serait temps de pardonner à ces martyrs d’avoir souffert et travaillé pour nous, maintenant que nous réalisons par bribes ce qu’ils avaient conçu et esquissé. Il serait temps de proclamer et d’acquitter notre dette envers ces précurseurs, maintenant que nous profitons de leur expérience, de leurs malheurs et de leurs fautes. Puisse ce livre, épris de justice comme de vérité, contribuer à leur faire enfin rendre la place d’honneur à laquelle ils ont droit !

Nous avons vécu, ce dernier demi-siècle, nous vivons encore de la moelle de leur pensée plus que des conceptions qui furent familières à nos lointains ancêtres de 1789 et de 1793. Ils ont ajouté des rayons à l’idéal démocratique qui échauffe et illumine la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! À ce titre, l’époque où ils ont peiné mérite de s’inscrire parmi les grandes dates de l’histoire moderne : car, non seulement en France et en Europe, mais sur le globe entier, elle a mis pour longtemps à l’ordre du jour de l’humanité ce problème qui ne peut plus être rejeté dans l’ombre : Trouver une organisation de la société telle que tous ses membres puissent, également et différemment, utiliser, pour devenir plus libres, plus heureux et meilleurs, les moyens matériels et spirituels dont dispose cette société.


Georges Renard.


  1. Retraites ouvrières, égalité devant l’instruction, rachat des chemins de fer. etc.