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653.9.. habitants en 1846 ; le recensement de 1851 donne seulement 1 million 653.2… A quelles causes attribuer ce recul, alors que les autres grandes villes de France accusent une sensible augmentation aux dépens des campagnes ?

On ne saurait en rendre responsable une diminution des mariages. L’année 1848, comme l’année 1830, en vit contracter un nombre supérieur à la moyenne, soit qu’une révolution en suscitant d’ardentes espérances invite les jeunes gens à fonder des ménages, soit que, succédant à une crise qui a gêné les envies de s’établir, elle ouvre libre cours à l’accumulation des unions un instant retardées. Il n’y a pas eu de grande guerre qu’on puisse en accuser ; au contraire, l’excédent que présente habituellement le total des femmes sur celui des hommes a diminué, phénomène ordinaire dans les moments de paix où l’équilibre tend à se produire entre les deux sexes. D’autres circonstances rendent mieux raison de ce qui s’est passé. C’est d’abord l’invasion du choléra. Mais l’épidémie fut générale et ne suffit pas à expliquer pourquoi Paris nous apparaît frappé particulièrement. Il est impossible de ne pas songer alors aux hommes tombés en Février, à l’abondante saignée des journées de Juin, aux vides creusés par les émigrants partis volontairement pour l’Afrique ou la Californie, par les étrangers peut-être que l’incertitude de la situation politique pouvait retenir chez eux au cours de l’an 1851, surtout par les prisonniers, les déportés, les exilés qui se chiffrèrent alors par milliers. Il est certain qu’il y a, lorsque meurt la République, deux Frances, dont l’une est au-delà de la frontière, dispersée en Suisse, en Belgique, en Angleterre et ce n’est pas la moins brillante ; car elle compte une foule d’hommes d’État, de penseurs, d’écrivains, d’orateurs qui entretiennent au milieu des autres nations des foyers de culture française et de haine pour le gouvernement de leur patrie.

Quelle que soit la part à faire aux différentes causes dans l’arrêt de croissance dont pâtit la France, toujours est-il que la position d’un problème, qui avait beaucoup préoccupé les esprits dans la première moitié du XIXe siècle, est par là même renversée. On avait jusque-là redouté l’excès de la population. On jetait à la tête des socialistes cet argument renouvelé de Malthus : Comment voulez-vous assurera chacun une existence digne d’être vécue, quand le nombre des convives appelés au banquet de la vie croît beaucoup plus vite que la somme des produits à consommer ? On commence en ce temps-là à craindre le péril contraire, la disette d’hommes. Cette nouvelle façon d’envisager les choses apparaît dans un discours de Falloux. Il compare le lent accroissement de la population française à la fécondité des nations voisines et il pousse ce cri d’alarme : « En 1780, la France avait 27 millions d’habitants ; en 1848 elle en a 35 millions. La Prusse en avait 6 millions ; elle en a 16. L’Angleterre en avait 14 ; elle en a 29. L’Autriche en avait 28 ; elle en a 39. La Russie en avait 33 ; elle en a 70. » Il n’indique point de remède au mal. sinon le retour (impraticable et inutile en l’espèce) à la