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l’aisance de chacun par la réduction graduée des dépenses publiques et de l’impôt. » On projeta un instant de ramener tous les traitements au taux de 1822. La nécessité de faire des économies fut l’argument que les conservateurs opposèrent à toutes les réformes, depuis le rachat des chemins de fer jusqu’à l’instruction gratuite. Puis, comme les ministres apportaient tour à tour des moyens variés de se procurer des ressources, la tactique fut de démolir un à un leurs projets comme les décrets du Gouvernement provisoire. Maintenir le statu quo en ce domaine, c’était l’imposer dans tous les autres.

Les plans des ministres croulèrent donc comme des châteaux de cartes. Celui de Duclerc fut balayé avec le ministre lui-même par les journées de Juin. Cependant le principe de l’impôt progressif, qu’un membre du Gouvernement provisoire avait proclamé comme le seul juste et le seul efficace, demeurait debout, quoique ébranlé. Il était appliqué, avant 1848, dans quelques grandes villes, à Paris, à Lyon, pour les mobiliers et les loyers. L’impôt des portes et fenêtres n’était pas proportionnel. La retenue sur le traitement des fonctionnaires était progressive. Goudchaux, au nom des républicains modérés, proposait encore le 3 Juillet qu’on appliquât le même principe aux successions et donations. Au Comité des finances, il y eut bataille à ce sujet. Les partisans du gouvernement demandent si l’impôt doit être prélevé sur le nécessaire de l’ouvrier ou sur le surplus du riche. Ils disent qu’il faut choisir entre deux politiques à l’égard de la classe laborieuse : ou celle de la résistance ou celle de la conciliation. Mais un membre s’écrie : « L’impôt progressif, c’est le communisme ». Et dans l’Assemblée, Thiers, malgré sa promesse formelle, ajoute à la formule votée contre le projet de Proudhon une phrase incidente qui enveloppe cet impôt détesté dans la réprobation. Ce n’est pas encore assez. Pendant qu’on discute la Constitution, Servière et de Sèze proposent de substituer au texte vague de la Commission qui lui laisse la porte ouverte celui-ci qui la ferme ; « Chacun contribue aux charges publiques dans la proportion de sa fortune, » Dans le réquisitoire qui fut alors prononcé contre le prévenu, on peut relever ces griefs : c’est une vieillerie renouvelée des Grecs ; un procédé despotique de pacha pour empêcher qu’il n’y ait des riches ; une spoliation déguisée ; un vol de l’État qu’il faut flétrir ; une sottise, parce que la République a besoin de s’assurer le concours de la propriété, qui a été la maîtresse du scrutin aux élections ; une chimère, parce que connaître la fortune d’un citoyen est chose impossible ; une impiété, parce que Dieu, ayant créé les inégalités sociales, il n’appartient pas aux hommes de venir les annuler. On dénonçait aussi les inquisitions qu’il exige, les dissimulations qu’il encourage, la faculté qu’il laisse d’absorber les grosses fortunes par le jeu arbitraire de son mécanisme. On s’arma de l’opinion de Robespierre et de celle d’Armand Carrel pour le combattre et l’on s’efforça de démontrer qu’il était contraire aux intérêts des classes ouvrières, parce qu’il atteint le luxe et ferait fermer des ateliers. Mathieu de