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ou chirographaires, tous porteurs d’actions ou de rentes feront remise à leurs locataires, fermiers, débiteurs du tiers de la somme qui leur est due. Les fonctionnaires et pensionnaires de l’État subiront une réduction progressive de leur traitement. Les salaires seront diminués en proportion. Les sommes ainsi abandonnées et évaluées à 1.500 millions reviendront par moitié aux débiteurs, par moitié à l’État. La moitié qui entrera dans la caisse des particuliers doit servir à ranimer l’industrie. A cause de la réduction générale des frais, tout sera à bas prix et toutes les catégories de la population retrouveront en bon marché ce qu’elles auront perdu en revenu. La moitié dévolue à l’État doit servir à réduire les frais judiciaires de 30 0/0, à supprimer les contributions directes et indirectes, à créer des comptoirs d’escompte, des banques, et à garantir aux travailleurs le placement de leurs produits sous déduction de 10 0/0 du prix de revient).

Tels étaient les articles essentiels du projet. Quelques autres ne manquaient pas d’importance, mais répondaient à des circonstances momentanées. On sait l’orage que déchaîna cette proposition, les insultes qui furent prodiguées à Proudhon et les efforts qu’il fît pour les mériter ; mais on discuta aussi et Thiers combattit la conception financière de son adversaire. Il affirma que, si tout le monde subissait une réduction égale sur ses revenus, personne n’aurait rien gagné ni perdu ; que tout resterait en l’état, qu’il n’y aurait rien de changé que l’apparence. Il contestait ensuite que le sacrifice fût égal pour les différentes parties de la population ; il soutenait que les petits propriétaires, habitant leur maison, exploitant eux-mêmes leur domaine, seraient épargnés, tandis que les autres seraient fortement atteints. (Et c’était sans doute ce que souhaitait Proudhon). Il prétendait ensuite que cette mesure insolite irait contre son propre but ; qu’au lieu de ranimer l’activité commerciale et industrielle, elle l’amortirait en alarmant les capitaux. Enfin il contestait les chiffres de Proudhon, soutenant à grand renfort de statistiques douteuses que cet impôt du tiers produirait, non pas trois milliards, mais à peine 320 millions ; que la moitié revenant à l’État ne dépasserait pas 160 millions et, que, par conséquent, les espérances fondées sur ce budget supplémentaire étaient tout à fait chimériques.

Proudhon répondit. « Puisque M. Thiers avait fait de la pasquinade, dit-il quelque part, je ferais, moi, de la fascination. » Laissons les formules et procédés oratoires par lesquels il essaya de fasciner son auditoire, et la déclaration menaçante qu’il lui jeta en finissant : « Le capital a peur et son instinct ne le trompe pas ; le socialisme aies yeux sur lui ; les juifs ne reviendront pas ; je le leur défends. » En fait d’arguments sérieux, on trouve ceci : C’est un moyen de réaliser le droit au travail ; car le travail sera garanti, si la production est sans limites, et la production sera sans limites, si l’on donne à la société entière la faculté de consommer selon ses besoins. Or le moyen d’augmenter la consommation, c’est de délivrer la circulation