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descendu à 59 millions et la foule ne cessait d’affluer pour lui réclamer de la monnaie métallique. Elle avait en circulation 345 millions de billets payables à vue, et, si l’on défalquait de l’encaisse 45 millions dus au gouvernement, il lui restait en tout, pour faire face à ses engagements, 14 millions à Paris et 63 en province. D’Argout, le gouverneur, accourut effaré au Ministère des finances en s’écriant : Nous sommes perdus ! — Il demandait à l’État de sauver la Banque, La majorité du Gouvernement provisoire fut d’avis de proclamer le cours forcé des billets. Louis Blanc eût souhaité qu’on profitât de la circonstance pour substituer le crédit national à celui d’une Banque privilégiée, encaissant dans les temps calmes de formidables profits, mais obligée dans les temps orageux de se mettre à l’abri sous le crédit public. Qu’était-ce, au fond, que le cours forcé, sinon la transformation provisoire de la Banque de France en Banque d’État ? Qu’est-ce qui donnait une valeur à son papier-monnaie, sinon la garantie même du gouvernement ? La moitié du chemin était faite vers la nationalisation du crédit. Mais on s’arrêta là. L’idée n’était pas encore mûre dans les esprits. On ne voulut pas toucher à la clef de voûte du système de bancocratie que la bourgeoisie avait institué. On se contenta d’autoriser la Banque à émettre des coupures de 100 francs, à limiter la circulation de ses billets à 350 millions et à lui imposer de publier dans le Moniteur toutes les semaines sa situation.

Ainsi remise à flot, la Banque vit ses actions, remonter et ses billets reconquérir la confiance. Le cours moyen des actions — le pair étant 1.000 francs — fut en 1848 de 2.197 francs, et les dividendes distribués s’élevèrent à 75 francs, ce qui était encore plus qu’honorable. Elle escompta, au cours de cette même année, 1.643 millions d’effets. Elle put faire des avances, non seulement au gouvernement qui l’avait bien mérité, mais à de gros négociants et à de grands industriels. Les Banques départementales avaient bénéficié comme elle du cours forcé : c’était justice. Mais leurs billets ne pouvaient circuler que dans le département où elles avaient leur siège, et cette condition les mettait dans un état d’infériorité qui les obligeait à périr. C’est pourquoi un changement, désiré à la fois par la Banque de France et par le gouvernement, s’accomplit alors. Les Banques départementales furent transformées en succursales de la Banque de France, qui eut seule désormais le pouvoir quasi-régalien d’émettre des billets. Son capital fut alors porté à 91 millions et sa circulation autorisée jusqu’à concurrence de 425 millions.

Grâce à ces mesures la Banque doubla heureusement le cap des Tempêtes. Le cours forcé disparut sans encombre le 6 Août 1859. Les chiffres ci-joints révèlent la sécurité revenue pour elle. La Banque sortait donc de ses difficultés agrandie et consolidée. Cette unification du crédit commercial faisait de son privilège un monopole complet. Elle concentrait une puissance énorme aux mains de la Compagnie qui l’administrait ; mais en même temps elle la plaçait de plus en plus sous le contrôle de l’État. Ainsi la République