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dont elles n’étaient pas dignes ; elles reposaient, pour ainsi dire, en l’air, sur un capital fictif. On a calculé que, sur les 15 milliards qui représentaient alors l’ensemble de la circulation française, le numéraire pouvait être compté pour deux milliards et demi, les billets de banque pour 400 millions ; le reste, soit environ 12 milliards, consistait en promesses de paiements à terme. La liquidation, précipitée par la Révolution de Février, fut terrible. Il y aurait eu nombre de faillites, de catastrophes, si, dès le 20 Février, on n’avait prorogé de dix jours les échéances commerciales. Mais le danger subsistait et il était fort sérieux.

Proudhon — comparant la première Révolution à celle de 1848 — a fait cette remarque qui est fort juste : à savoir que la nation française ne subsistait plus au milieu, du XIXe siècle comme à la fin du siècle précédent sur la propriété, mais qu’elle vivait de la circulation, du crédit, ce qui rendait les fortunes solidaires les unes des autres et ne permettait plus la longue durée d’un état révolutionnaire.

Il était nécessaire d’aviser. Le commerce, comme après 1830, réclama du Gouvernement provisoire des secours directs ; mais celui-ci avait peu d’argent à sa disposition ; et puis, si l’on accordait des millions aux commerçants, que faudrait-il distribuer aux ouvriers beaucoup plus nombreux et plus besogneux encore ? Dans leur affolement des négociants, des banquiers, des boursiers et avec eux la Chambre de commerce de Paris, voulurent arracher à ce Gouvernement récalcitrant la prorogation de toutes les échéances à trois mois. Ce fut le but avoué de la manifestation du 9 Mars. Elle n’obtint qu’un refus. Au lieu de suspendre la vie commerciale, on tâcha de la ranimer.

L’essentiel était de rétablir le fonctionnement du crédit. Or il était fort mal organisé. L’argent était très cher ; non pas qu’il fût très rare ; le nombre croissant des dépôts dans les caisses d’épargne eût suffi à prouver le contraire. Mais il dormait volontiers enfoui dans les coffres-forts et les armoires ; il ne savait pas ou n’osait pas se mobiliser pour s’adapter aux besoins du commerce grandissant. Dans les campagnes, l’usure était un fléau ; dans les villes, le crédit était fourni par la Banque de France et par les Banques départementales, sans compter les banques privées. La Banque de France, institution privilégiée, n’était guère utile qu’aux grosses bourses. D’une part, elle ne pouvait remplacer le numéraire dans les petites transactions ; car, jusqu’en 1847, elle n’admettait pas de coupures au-dessous de 500 francs, et lorsque enfin cette année-là elle émit, avec autorisation du gouvernement, des billets de 200 francs, il ne manqua pas de prophètes de malheur (et Thiers en était) pour crier que c’était une cause de ruine assurée. D’autre part, comme escompteuse des effets de commerce, c’est-à-dire comme fournisseuse d’avances aux négociants, elle exigeait trois signatures et une prime considérable. L’escompte ne descendait jamais au-dessous de 4 0/0 et mon-