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calculée d après le montant des versements et l’époque, nécessairement assez reculée, de l’entrée en jouissance de la pension. »


Le projet était présenté comme une garantie d’ordre : ou espérait créer entre l’État et l’ouvrier une communauté d’intérêts ; on disait que l’ère des révolutions serait fermée le jour où celui-ci pourrait dire à son tour : l’État, c’est moi. — On écartait, du reste, tout versement obligatoire obtenu par une retenue sur les salaires ; ou voulait que l’économie fût volontaire et partant plus méritoire. L’argent devait être placé en fonds publics. On fixait l’intérêt des sommes versées à 5 0/0 et le maximum de la pension, qui serait incessible et insaisissable, à 480 francs. Une innovation intéressante était que la femme, sur le refus ou en l’absence du mari, pouvait être autorisée à acquérir sa rente viagère personnelle.

La Législative acheva ce que la Constituante avait ébauché. La loi votée le 18 juin 1850 se donnait aussi comme un moyen « d’intéresser toutes les classes au maintien de l’édifice social. » Plusieurs représentants étaient convaincus, non sans raison, que l’obligation seule pouvait la rendre efficace ; ils demandaient, d’une part, que tous les salariés fussent tenus de contribuer à la formation de la rente viagère qui leur reviendrait un jour et que les patrons, d’autre part, fussent obligés d’opérer un versement proportionnel au versement et au nombre de leurs ouvriers. Quelques-uns, moins hardis, voulaient du moins qu’on encourageât les versements par des primes. L’Assemblée refusa de les suivre. Elle laissa les ouvriers libres de verser ou non leur argent à la Caisse nationale des retraites et ce n’était pas, pour certains de ses membres, sans arrière-pensée, témoin ces paroles de Thiers, qui prouvent que plusieurs escomptaient un insuccès probable et désiraient surtout paraître faire quelque chose :


« On n’atteindra aucun résultat, dit-on, si on laisse l’ouvrier libre ; il ne déposera pas et continuera à vieillir dans le même état d’insouciance. — C est à craindre, nous l’avouons, pour beaucoup d’entre eux… »


La bourgeoisie s’effrayait de la grandeur du capital qui s’accumulerait ainsi au nom de la classe ouvrière et de la peine qu’on aurait à l’administrer, et Thiers, protestant contre « ce nouveau communisme », motivait ainsi la préférence donnée au système de la non-obligation.


« Pourquoi ? Parce que, indépendamment de la liberté de l’homme respectée, il y aura infiniment moins d’individus qui verseront et, dès lors, moins de difficultés à vaincre pour la perception et le placement de leurs économies, ce qui veut dire qu’à mesure qu’on atteindra moins le but de l’institution, son impossibilité deviendra moins grande. »


L’Assemblée laissa encore les déposants libres de placer leur argent à fonds perdus ou avec restitution du capital aux héritiers en cas de décès. Elle éleva le maximum de la pension que pourraient acquérir les retraités à 600 francs et la déclara insaisissable jusqu’à concurrence de 360 francs. Elle décida que tous les dépôts seraient reçus, même au-dessous de cinq francs ; que les chances de mortalité seraient calculées d’après les tables de Deparcieux,les plus favorables aux futurs rentiers. Malgré les philanthropes qui