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qu’ils appartiendraient nécessairement à la classe aisée. Cependant la loi du 15 juillet 1850 desserra un peu ces restrictions ; elle imposait encore aux Sociétés de compter, sauf exception dûment autorisée, 100 membres au moins et 2.000 au plus : elle les plaçait sous la surveillance de l’autorité municipale et préfectorale ; elle soumettait à l’approbation du gouvernement la modification de leurs statuts et leur dissolution ; elle les obligeait de régler leurs cotisations d’après les tables officielles de maladie et de mortalité. Les sociétés n’avaient donc pas leur pleine liberté. Elles étaient séparées en Sociétés libres, qui s’étaient formées de plein droit, et en Sociétés autorisées. Dix seulement parmi les premières se firent approuver. Elles se défiaient des faveurs autant que des empiétements du pouvoir. Ce n’était pas sans raison. Beaucoup furent poursuivies sous prétexte qu’elles s’occupaient de politique, en réalité parce qu’elles étaient surtout composées de républicains. Rien que sous le second ministère de Léon Faucher (Avril-Octobre 1851), on en compte douze qui sont dissoutes et quatre qui sont signalées comme dangereuses. La circulaire de Baroche du 25 juillet 1850, le règlement d’administration publique du 14 juin 1851 avaient aggravé les dispositions autoritaires de la loi, et découragé plus que stimulé le mouvement.

Elles échappaient du moins, en partie, au régime du bon plaisir et c’est en profitant de cette reconnaissance légale qu’elles ont pu s’épanouir lentement. Mutualistes, aussi bien que coopérateurs et syndicalistes, peuvent dater de la Deuxième République une des phases importantes de leur existence.


Les retraites ouvrières. — Un article de la loi interdisait aux Sociétés de secours mutuels de promettre des pensions de retraites, sous le prétexte que cette ambition était dangereuse pour elles. On avait pensé — assez sagement — que les retraites ouvrières méritaient une institution spéciale. L’Angleterre en avait donné l’exemple dès 1833 ; en France, l’initiative en avait été prise par certains patrons philanthropes, par les Dollfus de Mulhouse en particulier, et par la Société industrielle de la même ville. On avait créé là un asile pour 50 vieux travailleurs ; les fonds étaient fournis par une retenue de 3 0/0 sur les salaires, à laquelle les patrons ajoutaient 2 0/0. C’était, de leur part, à la fois sentiment d’humanité et calcul habile ; ils y voyaient un moyen honnête et sûr de s’attacher leurs ouvriers. Avant 1848, déjà un projet de loi s’élaborait pour généraliser cette pratique. La Constituante le reprit et l’élargit. Un de ses membres, Waldeck-Rousseau, demandait dès le début l’établissement d’une Caisse nationale de prévoyance. Le rapport qui fut lu à ce sujet (19 février 1849 ; disait :


« Le but que nous nous sommes proposé a été de créer, avec la garantie de l’État, une institution qui, par une heureuse combinaison des éléments de l’association, des chances probables de mortalité et de l’accumulation des intérêts, assurât au déposant, en retour de versements irrévocables, une pension de retraite pour ses vieux jours,