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Ici l’on ne se heurtait pas à une opposition irréductible de la classe dominante, désireuse de maintenir la classe ouvrière dans sa dépendance économique. Il s’agissait, non plus d’élever peu à peu les ouvriers au niveau des patrons, mais seulement de leur assurer ou de les pousser à s’assurer eux-mêmes le moyen de vivre en cas de détresse. Ce n’était plus de justice qu’il était question ; c’était de charité collective on individuelle. D’un aveu unanime, il y avait « quelque chose à faire ». Les catholiques, en particulier, qui avaient marché d’accord avec les économistes pour maintenir les travailleurs dans leur position subordonnée, étaient par principe et par tradition favorables au patronage des pauvres par les riches, à la protection de la classe indigente par la classe aisée.


Institutions de prévoyance. — Dans le groupe des institutions, où ceux qui en bénéficient ont l’intention de se suffire, se classe tout ce qui est relatif aux caisses de secours mutuels, à l’assurance, à l’épargne, aux retraites.


Les Sociétés de secours mutuels. — Les Sociétés de secours mutuels, sans être reconnues par la loi, existaient en France depuis longtemps. Paris seul en comptait plus de 250, Bordeaux plus de 40 ; mais elles étaient rares dans les campagnes. En 1848, il s’en fonda beaucoup dans le premier élan de fraternité où le principe d’association parut, même dans les régions officielles, la panacée du mal social. A la Constituante, les propositions abondèrent pour les multiplier et les encourager ; l’un voulait qu’il y en eût une dans chaque canton, l’autre dans chaque commune. Cela donna naissance à un rapport de Ferrouillat et à un projet de loi (19 février 1849). On n’osait pas suivre Waldeck-Rousseau et Rouveure dans la voie où ils entraient hardiment, le premier en obligeant les communes, les départements et l’État à une contribution régulière en faveur de ces caisses de prévoyance, le second en imposant aux patrons une contribution obligatoire. Mais, tout en laissant les Sociétés libres de gérer à leur gré leurs affaires, on voulait créer des commissions cantonales qui seraient comme des « écoles de fraternité » répandues dans toute la France et qui auraient pour mission de stimuler et de guider par des modèles de statuts les associations naissantes. Celles-ci, reconnues comme établissements d’utilité publique, pourraient recevoir des legs et donations et recevoir de la commune le local nécessaire à leurs réunions ; en revanche, on leur prescrivait la condition d’être ouvertes aux travailleurs des deux sexes et d’exclure le chômage des maux qu’elles étaient destinées à soulager. Ce projet ne fut pas discuté. L’idée revint sous la Législative ; mais alors on se défiait de l’association, on craignait toujours de voir se glisser sous son manteau quelque tendance politique ou sociale qui ne fût pas orthodoxe. Le gouvernement exigeait que, dans toute Société de secours