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Saint-Etienne, où il y avait, non plus deux, mais trois intérêts en présence : les ouvriers, les fabricants et, entre eux, les chefs d’atelier, à la fois salariés et salariants. On se tira d’embarras en faisant nommer le Conseil des prudhommes par trois assemblées électorales au lieu de deux.

La loi nouvelle était loin d’être parfaite. Elle laissait de côté les femmes. Elle n’accordait pas d’indemnité aux délégués, ce qui faisait une assez lourde charge de l’honneur dont ils étaient revêtus. Les prudhommes ne devenaient pas ce qu’ils auraient pu et dû être d’après la conception de Flocon, les juges de paix de l’industrie et de l’agriculture. Mais elle n’en était pas moins une de celles qui concédaient le plus aux ouvriers, au point que les patrons se plaignirent à leur tour de ne pas être suffisamment représentés dans ce tribunal, parce que le vote des ouvriers désignait plus volontiers comme juges les contremaîtres que les maîtres. Elle échappa pourtant à un remaniement.

Voilà résumées à grands traits les modifications qui furent apportées, sous la Deuxième République, au régime du travail. Elles sont dues rarement à l’initiative patronale, souvent à l’action des Sociétés ouvrières, parfois à l’autorité locale, le plus fréquemment à l’intervention de la loi. Quoique portant sur une grande variété d’objets, elles peuvent se ranger sous trois chefs ; elles ont pour but, dans la pensée de ceux qui les opèrent, soit de protéger les travailleurs dans leur santé physique et morale, soit de leur assurer la liberté et l’égalité dans leurs rapports avec les patrons, soit de prévenir ou d’arranger les conflits qui surviennent entre eux et leurs employeurs. Certes elles sont loin d’atteindre le but visé : les pas en avant sont suivis la plupart du temps de pas en arrière, Mais, malgré l’hésitation de la marche et les reculs, il y a une orientation nouvelle vers une meilleure condition du prolétariat. Mouvement syndical, code ouvrier, économie sociale, autant de choses qui datent vraiment de 1848 et qui sont de puissants agents de relèvement pour la classe ouvrière !



CHAPITRE VI


Institutions de prévoyance et d’assistance.


Cette étude des conditions nouvelles faites au travail serait incomplète, si nous n’y joignions celle des institutions de prévoyance et d’assistance qui furent alors créées ou proposées. Elles forment deux groupes distincts et voisins qui ont un caractère commun : elles n’ont ni pour but ni pour effet d’affranchir le prolétariat ; elles visent et aboutissent seulement à lui rendre la vie plus facile et plus sûre ; mais les premières pourraient prendre pour devise : — Aide-toi et l’on t’aidera —, les autres promettent du secours à qui ne peut plus s’en passer.