Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après cet échange d’observations, l’Assemblée passa vite à l’ordre du jour et enfin, au mois de Janvier 1851, les pièces de la grande enquête ouverte en 1848 furent renvoyées aux archives du Ministère de l’Agriculture et du Commerce, ou, suivant l’expression d’un interrupteur, aux catacombes, et elles y demeurèrent ensevelies dans la poussière et l’oubli, sans autre utilité que d’avoir peut-être éveillé çà et là les ouvriers et surtout les paysans à la conscience de leurs intérêts et de leur pouvoir, d’avoir aussi préparé pour les historiens une source d’informations précieuse, quoique incomplète.

Cependant il serait injuste de borner à cela le bilan de la sollicitude témoignée aux travailleurs par les gouvernements et les Assemblées de la Deuxième République et le moment est venu d’aborder les modifications qui furent apportées par la loi au régime du travail.


Nous allons voir repasser sous nos yeux toutes les questions que les Associations professionnelles avaient essayé de régler par elles-mêmes : durée de la journée, taux des salaires, apprentissage, mesures de sécurité, placement des sans-ouvrage, limitation de la concurrence, et avec cela rapports des patrons et des ouvriers à propos soit du contrat qui les lie soit des différends qui les séparent.

La journée de travail. — La longueur de la journée fut un des premiers objets sur lesquels on légiféra. Le Gouvernement provisoire, cédant à une demande qui passa par le Luxembourg, avait décidé, le 2 mars, que le maximum des heures de travail dans les ateliers descendrait à Paris de onze à dix et en province de douze à onze. Un décret postérieur, en date du 4 Avril, frappait d’une amende et, en cas de double récidive, d’un emprisonnement, les patrons de Paris qui ne se conformeraient pas à l’arrêté précédent. On alléguait deux motifs. On voulait que les ouvriers, au lieu d’être usés par un labeur trop prolongé, eussent du loisir pour la vie du foyer et pour la vie politique à laquelle ils venaient d’être appelés ; on voulait aussi, en réduisant la longueur des journées, permettre aux patrons d’augmenter le nombre des ouvriers occupés.

Ce décret limitant les heures de travail avait une importance considérable. C’était en France, depuis la grande Révolution, la première intervention de l’État pour protéger les adultes. En Angleterre, un bill de l’année 1847 avait bien réduit la journée à dix heures ; mais c’était seulement pour certains ouvriers des industries textiles. Ici, au contraire, la main protectrice de l’État s’étendait sur tous les travailleurs arrivés à l’âge d’homme.

Aussi fut-il attaqué par les journaux conservateurs et par les partisans du Laissez faire. Les Comités de la Constituante reçurent des pétitions pour et contre. Les patrons, en maint endroit, se moquèrent de la prescription nouvelle et continuèrent à faire travailler quatorze et quinze heures. Plusieurs furent condamnés. Cependant, tant que le peuple fut ou parut puissant, on