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attaquée et elles le sont au nom de la liberté du travail. Comme d’autre part elles réduisent le pouvoir du patron ; comme elles se dressent à côté de lui en qualité de puissances légiférantes ; comme elles représentent l’introduction, non pas du régime républicain (cela, c’est l’affaire des Coopératives), mais du régime constitutionnel dans l’atelier jusque là despotiquement gouverné, elles sont en exécration aux chefs d’industrie habitués à se conduire en monarques absolus et qui ne comprennent pas que ce partage des responsabilités peut leur profiter en établissant dans la production un ordre et une discipline volontaires. Persécutées, de plus, pour des motifs politiques, elles sont victimes de vexations sans nombre, dès que le gouvernement est entre les mains des conservateurs. Avec sa complicité, la classe patronale s’acharne à tuer le contrat collectif, qui la gêne. Lorsque, le 15 Février 1850, est rapporté l’arrêté concernant le travail, le salaire et le placement des ouvriers boulangers de Paris, on peut remarquer dans les motifs allégués ces paroles significatives :


« Considérant qu’il n’appartient pas à l’autorité administrative d’intervenir dans les conventions relatives au prix du travail entre les maîtres et les ouvriers…

« Les rapports de maîtres à ouvriers continueront à être régis par les conventions qu’ils feront librement entre eux. »


Librement ! Cela voulait dire ici : individuellement. C’était le triomphe de la liberté nominale. Aussi, tandis que les Chambres syndicales de patrons, que les Chambres, Bourses et Cercles de commerce se multipliaient et prospéraient, les Associations professionnelles ouvrières, quoiqu’elles eussent essayé çà et là de se déguiser en Sociétés de secours mutuels, avaient péri pour la plupart à la fin de 1851.

Les coalitions. — On ne traitait pas mieux ces associations momentanées qu’on appelle des coalitions. Avant 1848, il y avait à leur sujet deux poids et deux mesures. Faites par des patrons, elles n’étaient punissables, que si elles étaient abusives et injustes ; pour les ouvriers, la cessation concertée du travail, la grève, sans qu’elle fût accompagnée de la moindre violence, était considérée comme un délit et punie fréquemment comme telle. Je dis fréquemment, car il y avait beaucoup d’arbitraire dans l’application de la loi ; mais les articles 414-415-416 du Code pénal, vestiges du droit du seigneur sur les serfs lui appartenant, permettaient une rigueur implacable.

Les grèves furent nombreuses dans les premiers mois qui suivirent le 24 Février, et elles ne furent pas poursuivies ; toutefois elles étaient tolérées, non légales. La Constituante allait-elle les autoriser ? On put le croire un instant : Au Comité des travailleurs, le 7 juin 1848, Morin proposait l’abrogation des articles qui les interdisaient. Seulement, après les journées de Juin, le Comité, d’abord favorable, estimait qu’on pouvait attendre. La proposition venait cependant en discussion ; mais l’on ne pouvait s’entendre sur le texte. Corbon demandait que la grève rentrât purement et simplement dans le droit commun, qu’elle fût punissable seulement, si elle aboutissait à