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bénéfice de cette expérience : à savoir que des Sociétés ouvrières de production ne peuvent réussir à elles seules, qu’elles ont besoin pour se développer, non pas seulement d’être liées à des Sociétés coopératives de consommation et de crédit, mais surtout d’être soutenues par une classe ouvrière organisée.



CHAPITRE V


CHANGEMENTS DANS LE RÉGIME DU TRAVAIL


En même temps que ce grand effort avorte pour transformer l’organisation du travail en visant à la tête, c’est-à-dire en poursuivant l’abolition du patronat, il s’en opérait d’autres qui se bornaient à la modifier sur des points moins essentiels.

Deux voies s’ouvraient pour ces modifications. Elles pouvaient se faire au moyen de conventions privées obtenues de gré ou de force par des associations durables ou momentanées d’ouvriers, ou bien à l’aide d’une intervention législative.

Les Associations professionnelles ouvrières. — Commençons par l’action émanant de la classe ouvrière. Le Gouvernement provisoire, non seulement avait laissé les ouvriers libres de se grouper, mais il les avait invités à s’associer. Il se forma donc, à côté des Coopératives dont nous venons de parler, une foule d’Associations professionnelles qui, sans tendre à les unir dans une exploitation commune, avaient pour objet la défense de leurs intérêts, l’amélioration matérielle et morale de leur sort. On peut signaler, même parmi les paysans et les employés de commerce, un commencement de groupements analogues. Le grand mouvement syndical, qui s’est développé si puissamment depuis, a pris son premier essor en 1848.

Il hésite sur la direction où il va s’engager. Remontera-t-il vers les corporations privilégiées du moyen âge ? Ira-t-il vers des formes nouvelles ?

Les survivances et réminiscences d’autrefois ne manquent pas. Le vieux Compagnonnage est un instant galvanisé : il semble avoir un regain de vie ; il s’efforce de réconcilier ses différents rites. A Paris, se fonda le Club des Compagnons de tous les devoirs, qui lança, pour les élections à la Constituante, une liste de candidats assez panachée et qui réussit à faire passer l’un de ses membres, Agricol Perdiguier. C’était justice. Perdiguier était l’homme le plus désireux de faire pénétrer l’air, la lumière et un esprit de large fraternité dans les milieux étroits et exclusifs où évoluaient ses camarades ; il fut parmi eux l’avocat de l’union. Un projet de constitution fédérale fut dressé et l’on put voir, à la fête du 22 mai, les « devoirs » rivaux figurer côte à côte, avec leurs insignes et leurs chefs-d’œuvre. Mais ce souffle de concorde fut éphémère. Le projet d’union fut repoussé par une majorité routinière. Ou