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une maigre indemnité de 30.000 francs. Compromise par la mauvaise volonté qu’on lui témoigne, elle l’est encore par sa propre générosité. Louis Blanc raconte que, pour ne pas enlever leur pain aux ouvrières sans travail, elle leur donne à exécuter des broderies que des hommes avaient offert de faire à meilleur compte ; qu’elle fournit même de l’ouvrage à des couturiers malhabiles dont il faut ensuite refaire point par point la besogne. Dans un milieu où règne la concurrence, où il faut par conséquent produire à bas prix, si l’on veut avoir des clients, il n’en fallait pas davantage pour qu’elle fût impuissante à lutter sur le champ de bataille du commerce. Il faut donc ou périr ou se résigner à des procédés plus égoïstes. C’est pourquoi elle liquide, toutes dettes payées, avec un léger boni, et se transforme en association commerciale, sous le nom de : Le travail. Un tiers des bénéfices futurs est encore destiné à former une caisse d’assistance fraternelle, qui viendra en aide aux veuves et aux orphelins des associés et servira des pensions de retraites aux vieillards. Obligée de quitter le bâtiment de Clichy, elle paie 6.000 francs de loyer pour sa nouvelle installation dans le faubourg Saint-Denis. Au cours de l’année 1840, elle abandonne l’égalité des salaires ; elle adopte le travail à la tâche ; elle devient société en nom collectif à l’égard du gérant et en commandite à l’égard des autres sociétaires ; elle a un capital social de 20.000 francs, divisé en 4.000 actions de 50 francs. Elle renonce à améliorer le logement et la nourriture de ses membres. Elle prolonge ainsi son existence ; mais elle touche à son agonie.

Pour se défendre, les Associations ouvrières avaient essayé de se fédérer. Pour se procurer du crédit, elles avaient émis des bons qui circulaient comme papier-monnaie, du moins dans la classe laborieuse. Elles avaient voulu fonder une union dirigée par un Comité central de vingt-trois membres. On traqua cette Union, sous prétexte qu’elle faisait de la politique. A son siège social, on saisit une lettre de Louis Blanc, alors exilé, qui donnait des conseils pratiques aux organisateurs. Le principal d’entre eux, Delbrouck, fut condamné à quinze mois de prison, à 500 francs d’amende, à cinq ans de privation des droits civiques.

Chaque Association, désormais isolée, était plus vulnérable. Celle des tailleurs, quoiqu’elle eût peu à peu perdu son caractère socialiste, pâtissait du péché originel d’être une création de Louis Blanc. Elle fut forcée de liquider à l’amiable au milieu de l’année 1851, ayant encore quarante membres ; et avec elle mourut Bérard, qui en avait été la cheville ouvrière comme Louis Blanc en avait été l’âme.

Pour exemple de l’autre type, je prends l’Association des ouvriers en limes, qui se fonda à Paris, 48, rue des Gravilliers, à la fin de septembre 1848, Elle comprend quatorze façonniers et petits patrons et se constitue pour trente ans en nom collectif. Elle reçoit du gouvernement 10.000 francs, remboursables en huit ans, et sa fortune initiale se complète