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la consommation, recherche toujours la suppression, entre deux catégories de personnes qui sont en relations économiques, d’un intermédiaire dispendieux. Dans la production, c’est le patron ou l’entrepreneur, considéré comme un rouage inutile et coûteux, qui est directement visé. Si nous comparons la société capitaliste à une forteresse, on peut dire que Louis Blanc l’attaquait de front, montait à l’assaut du côté le mieux défendu et le plus escarpe, coup d’audace qui peut réussir par surprise, mais qui, en face d’un ennemi résolu et averti, a grand’ chance d’aboutir à un échec désastreux.

Les associations ouvrières de production n’étaient pas chose nouvelle. Il en avait existé à Lyon dès le XVIIIe siècle. Après 1830 Bûchez et Bastide en avaient repris et popularisé l’idée. L’association catholique des bijoutiers en doré avait été fondée en 1834 à Paris avec cette devise : « Cherchez le royaume de Dieu et sa justice ». Au fond, le capitalisme avait ici montré la voie au socialisme. La prospérité des grandes compagnies avait prouvé la puissance des capitaux associés. Il n’est donc pas étonnant que, dans la fièvre d’enthousiasme qui suivit le 24 Février 1848, les associations ouvrières de production aient pullulé et inspiré à leurs fondateurs des espérances démesurées.

Elles ont eu plusieurs types qui correspondent, en général, à différents moments de leur histoire.

Le premier type est socialiste, du moins de tendance. Les sociétaires n’entendent pas seulement assurer leur indépendance et leur bien-être personnels ; ils visent à affranchir le prolétariat tout entier et leurs statuts sont de véritables déclarations des droits économiques de la classe ouvrière. À ce type appartiennent celles qui se fondèrent sous l’inspiration de Louis Blanc et avec son concours. N’ayant pas un sou pour leur fournir les premiers fonds, il tourna la difficulté. Il leur fit donner des commandes du gouvernement, des locaux officiels qui se trouvaient vacants. Ainsi la prison de Clichy (la prison pour dettes devenue libre par l’abolition momentanée de la contrainte par corps) se transforma en atelier où s’installa la Société fraternelle des tailleurs de Paris. Il s’agissait de leur procurer du travail convenablement payé, afin de ne pas abaisser les salaires des ouvrières en chambre, qui étaient comme le prolétariat du prolétariat. La ville de Paris leur commanda 100.000 tuniques pour l’équipement de la garde nationale. Au nombre d’environ deux mille, ayant fait leur règlement, ils se mettent à l’ouvrage et ils prennent plusieurs décisions qui sont la marque à laquelle on peut reconnaître ces sociétés d’esprit égalitaire et fraternitaire. Tous les ouvriers, comme tous les militaires d’un même grade, seront rétribues également (deux francs pour une journée de dix heures). L’association restera ouverte, prête à admettre tous les camarades ayant une bonne conduite et une connaissance suffisante du métier. Une partie des bénéfices et les fonds restants en cas de liquidation seront employés au profit des autres travailleurs : c’est la part faite à la solidarité ouvrière. Une seconde association, celle des selliers, fut organisée