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tation serait fourni par l’État moyennant un intérêt de 3 0/0. On calculait que les frais s’élèveraient à 100 millions pour toute la France. Les salaires et les bénéfices y seraient réglés comme dans les ateliers sociaux.

Sans s’attarder à la critique approfondie d’un système qui n’a point fonctionné, on peut remarquer le mélange de chimères et d’idées pratiques qui caractérise le socialisme de ce temps-là. Ce qui était chimérique, c’était de proposer à une Assemblée bourgeoise la création d’un ministère « ayant la mission spéciale de préparer la Révolution sociale », c’est-à-dire le suicide en douceur de la classe qu’elle représentait. Quelques manufacturiers en détresse, auraient, paraît-il, volontiers cédé leurs établissements à l’État, moyennant une indemnité. Mais l’immense majorité de la classe patronale repoussait cette invitation à se laisser mourir et la classe ouvrière n’était ni assez organisée ni assez instruite pour offrir à la réforme projetée un solide point d’appui. Ce qui était dangereux, au point de vue même de Louis Blanc, c’était, en instituant un « budget des travailleurs », de reconstituer au profit de corps privilégiés de nouveaux biens de main-morte. C’était encore l’arbitraire auquel conduisait l’imprécision de certaines formules. Qui fixerait les prix de revient, les salaires, le taux des bénéfices ? On ne le voyait pas clairement. Il faut ajouter aussitôt que l’idée d’un ministère du travail n’était pas cependant si folle, puisqu’elle fut reprise alors par des députés non socialistes sous la forme atténuée d’un Bureau du travail, centralisant tous les renseignements relatifs à la production agricole et industrielle en même temps qu’à la condition des travailleurs ; puisque, depuis lors, soit en Belgique, soit aux États-Unis, soit en France, elle s’est réalisée en bloc ou en détail. Il faut reconnaître en outre que, d’une part, la reprise par l’État des mines, des chemins de fer, de la Banque fait aujourd’hui partie du programme dit radical et que, d’autre part, le socialisme international contemporain a inséré dans ses revendications à peu près toutes celles de Louis Blanc ; socialisation progressive des grands moyens de production, union intime de l’agriculture et de l’industrie, acheminement vers une société collectiviste divisée en associations professionnelles qui se répartiront la besogne et régleront la création des produits d’après les besoins constatés par la statistique.

En dehors de ce plan d’ensemble voué alors à un insuccès certain, la Commission du Luxembourg réclama diverses mesures qui étaient de nature à modifier le régime du travail et que nous retrouverons plus loin sur notre route. Ce n’est pas tout. Elle fonctionna comme une sorte de tribunal de conciliation dans les conflits économiques qui éclatèrent au lendemain de la Révolution. Querelles entre ouvriers français et ouvriers étrangers, conséquence de la vapeur qui en facilitant et multipliant les communications commence à transformer, dès ce temps-là, le marché national en marché international. Louis Blanc fait prévaloir là les principes de fraternité qui sont à la