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ses parents dans la détresse, à défendre la patrie, à obéir aux lois, etc., les seconds (tissu souple et lâche, qui se resserre ou s’étend au gré de chaque conscience individuelle) pouvant être à volonté remplis ou négligés, suivant la générosité des personnes ; tels étaient les devoirs ordonnant de secourir ses semblables. Les premiers pouvaient être du domaine de la politique, entrer dans les lois ; les autres, au contraire, étaient du domaine de la morale pure ; on pouvait en conseiller, non en imposer l’accomplissement. Or, la Commission mettait au compte de l’État le devoir large de procurer du travail à ceux qui en manqueraient. C’était une dette qu’il paierait, quand il pourrait. En somme rien n’était changé à ce qui avait existé, puisque la monarchie elle-même avait admis et organisé des secours publics, des ateliers de charité.

Mathieu de la Drôme et ses amis luttaient contre cette conception étroite et voulaient que l’État fût l’agent de la solidarité qui unit les membres d’une même société. Beaucoup d’entre eux, Ledru-Rollin, Crémieux, Mathieu de la Drôme lui-même, n’étaient point socialistes et le disaient bien haut. Mais, en présence de la misère, prouvée surabondamment par l’insurrection récente, ils réclamaient de la société un engagement ferme, non seulement à procurer du travail aux gens, quand elle en aurait à sa disposition, mais à organiser les choses de telle façon que le travail ne manquât pas en cas de chômage des ateliers privés, que personne ne fût exposé à mourir de faim faute de pouvoir atteindre aux moyens de production. Ils rappelaient qu’au fort des journées de Juin l’Assemblée avait renouvelé les promesses faites aux travailleurs par le Gouvernement provisoire : « Ouvriers, on vous trompe, on vous égare ; le pain est suffisant pour tous ; la Constitution garantira à jamais l’existence à tous. » Ils disaient que la charité est une belle vertu qui aura sans doute sa récompense dans un autre monde ; mais que la société, qui s’occupe de ce monde-ci, a d’autres devoirs que les simples particuliers ; que civilisation, que Révolution obligent ; que le progrès consiste pour les peuples à faire entrer de plus en plus dans le domaine de la justice ce qui était jadis abandonné à l’arbitraire de la bonté. Ils ne disaient pas (car ils tâchaient de ne pas irriter leurs adversaires), mais ils auraient pu dire qu’il y avait une cuisante ironie, de la part de gens bien rentes et bien nourris, à taxer de matérialisme des ouvriers, qui, pour prix d’une victoire, avaient demandé seulement qu’on leur assurât la faculté de travailler. Ils répliquaient seulement que socialistes et prolétaires étaient autant que personne des hommes d’idéal. Mais tous les efforts pour modifier le rôle de l’État étaient neutralisés par une pensée que tous, partisans et adversaires, avaient également ; c’est qu’au fond le droit au travail implique une nouvelle organisation économique, et c’était le second point du débat.

On allait répétant des paroles prononcées par Proudhon dans le Comité des finances : « Donnez-moi le droit au travail ; je vous abandonne la