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Déclaration des droits de l’homme : « Le corps politique doit à chaque homme des moyens de subsistance soit par la propriété, soit par le travail, soit par le secours de ses semblables. » La proposition fut repoussée et Malouet, qui avait présenté un plan pratique pour payer cette dette de la société, n’eut pas plus de succès. La Convention fut plus hardie, plus généreuse. La Constitution de 1793 disait à l’article 21 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». Mais la Constitution ne fonctionna pas. Le plan de Barrère pour l’abolition de la misère ne fut pas appliqué. L’obligation imposée à l’État demeura lettre morte ; elle disparut même des Chartes et des Constitutions que se donna ou subit la France. Elle ressuscita dans les théories socialistes ; Babeuf y avait fait allusion ; les ouvriers insurgés de Lyon écrivirent sur leur drapeau cette tragique devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Fourier dit à son tour : « Nous avons passé des siècles à ergoter sur les droits de l’homme sans songer à reconnaître le plus essentiel, celui du travail, sans lequel les autres ne sont rien. » Mais, si Fourier peut passer pour le père de la formule, Considérant en fut le père nourricier. Louis Blanc, Pecqueur, et, avec eux des démocrates, l’adoptèrent, la popularisèrent ; Lamartine lui-même l’acceptait pour certains cas exceptionnels. Elle devint un mot de ralliement pour les ouvriers et il ne faut pas s’étonner si, dès le 25 Février, le Gouvernement provisoire fut sommé de la proclamer. On sait la promesse solennelle qui fut le résultat de cette sommation. Le soin de la tenir revenait à la Constituante. La question se représenta entière devant le Comité de Constitution.

Considérant l’y défendit en disant : « Si ce droit n’est pas nettement reconnu, les ouvriers penseront que la Révolution est encore escamotée. » Il le montrait comme corrélatif du droit de propriété et il ajoutait : « Ceux qui n’ont pas la terre, qui n’est pas l’œuvre de l’homme, doivent avoir un équivalent. » Odilon Barrot, Coquerel, Ch. Dupin l’attaquèrent, en faisant porter la discussion sur les moyens de le réaliser. La majorité se rallia pourtant à la formule rédigée par Cormenin : « Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant : la société doit, par les moyens généraux et productifs dont elle dispose et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne peuvent se procurer autrement de l’ouvrage. » C’est sous cette forme qu’il figure dans le projet déposé le 19 juin devant la Constituante. Deux autres articles renforçaient cet article :


« Art. 2. — La Constitution garantit à tous les citoyens : la liberté, l’égalité, la sûreté, l’instruction, le travail, la propriété, l’assistance.

Art. 132. — Les garanties essentielles du droit au travail sont : la liberté même du travail, l’association volontaire, l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier, l’enseignement gratuit, l’éducation professionnelle, les institutions de prévoyance et de crédit