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permis, ils consistent en lectures, représentations dramatiques, bals, fêtes champêtres.

La colonie était en pleine activité, lorsqu’au commencement de 1851 Cabet apprit qu’en son absence il avait été accusé d’escroquerie à Paris. Des journaux bourgeois, cédant à leur horreur du communisme, avaient accueilli les doléances de quelques transfuges et prétendaient qu’il avait utilisé à son profit l’argent des souscripteurs. Ils étaient même allés jusqu’à insinuer que la colonie de Nauvoo n’existait que sur le papier. Une plainte avait été déposée, et l’apôtre avait été condamné par défaut, devant le tribunal correctionnel, à deux ans de prison et à la privation des droits civiques. C’était une iniquité flagrante. Cabet, indigné, accourt, commence par purger la peine à laquelle il a été condamné en 1848 pour raison politique, puis fait réviser son procès, prouve sa bonne foi, sort acquitté et réhabilité. Mais à peine est-il libéré que survient le Coup d’État du 2 Décembre. Il est jeté au fort de Bicètre, puis transporté en Angleterre, sans autre motif, sinon qu’il est un chef de secte socialiste. Il est sur le point de fonder à Londres une sorte de triumvirat d’exilés socialistes avec L. Blanc et Pierre Leroux. Mais il est rappelé en Amérique par ses disciples et il n’en reviendra plus.

Nous n’y suivrons pas ses destinées et celles de sa colonie. Mais nous en avons dit assez pour qu’on puisse voir le fort et le faible de cet essai communiste. Il est certain qu’avec un capital très restreint Cabet est parvenu (et c’est quelque chose) à faire vivre pendant plusieurs années un petit village où l’ignorance, l’ivrognerie, le vagabondage, l’indigence, le prolétariat ont été inconnus. Les « chrétiens primitifs », comme on appelait ses adeptes, ont conquis l’estime et le respect de leur entourage. Il est certain aussi que cette petite société n’a pas fait boule de neige et s’est assez vite désagrégée. On peut assigner trois raisons principales à cet échec. La première, c’est que l’idéal idyllique et ascétique de Cabet n’était pas apte à séduire l’humanité, qui ne s’est pas donné la peine de soumettre la nature pour renoncer à la satisfaction large de ses besoins accrus avec sa puissance même. « A quoi bon la communauté, si vous proscrivez la richesse », disait Proudhon. Et il définissait cette variété de communisme « la religion de la misère ». La seconde, c’est que cette réalisation partielle, comme toutes les tentatives du même genre, était victime des conditions où elle naissait ; isolée, enveloppée, perdue comme un îlot dans une mer hostile, au milieu d’une société profondément individualiste, elle en subissait malgré elle la pression : obligée de se suffire ; i elle-même, elle était condamnée à vivoter maigrement, sans pouvoir profiter des forces nouvelles que les machines appliquées à l’industrie et au transport, les grandes associations de capitaux ou de travailleurs mettent au service du monde moderne. Enfin et surtout, c’était une solution trop simpliste à la question sociale. Parmi les choses qui nous entourent il en est qui peuvent et doivent être possédées et consommées