Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/255

Cette page a été validée par deux contributeurs.

liberté de la presse est loin d’être encouragée ; car toute critique faite en dehors de l’Assemblée générale est réprimée comme un délit. Cette Assemblée, qui remplit aussi les fonctions judiciaires, punit non seulement la violation des lois et règlements, mais les manquements à la morale, tels que mensonges, médisances, etc. Chaque citoyen est même invité à faire connaître les fautes qu’il a surprises. Il y a là comme un ressouvenir des communautés religieuses et aussi de la Genève de Calvin. Non seulement Cabet, comme Calvin, réglemente les vêtements et les mœurs ; non seulement la Constitution interdit le vin, la pêche et la chasse pratiquées comme plaisirs, le célibat volontaire, et, en autorisant le divorce dans certains cas exceptionnels, ordonne aux divorcés de se remarier ; mais elle crée une espèce de religion officielle qui doit être le christianisme dans sa pureté primitive. Cette religion est, il est vrai, réduite à sa plus simple expression ; elle n’a point de culte, ni même de dogme obligatoire ; elle se borne à prêcher l’existence d’un Dieu personnel et l’immortalité de l’âme. Mais elle ne voit en Jésus qu’un homme et dans la Bible qu’un ouvrage tout humain, et elle tolère les matérialistes en défendant de les persécuter.

L’organisation économique a surtout son originalité. Pour être admis, il faut souscrire aux conditions suivantes : Apporter ou céder à la Communauté tous ses biens quelconques : son argent, ses meubles, ses immeubles, ses créances, etc., même son trousseau, ses bijoux, ses outils, ses armes, ses livres ; en un mot, tous ses biens présents et à venir, même les donations et successions futures, parce que, dans la Communauté, personne ne peut être plus riche qu’un autre ni avoir de propriété personnelle, parce que personne ne peut être mieux traité que ses frères. Le principe est qu’une jouissance existera pour tous ou n’existera pour personne. Ainsi, il y aura des horloges publiques, mais aucun membre ne possédera de montre, tant que chacun ne pourra en avoir une. On se procurera le nécessaire d’abord, l’utile ensuite, plus tard l’agréable, et, à mesure, le nombre des choses d’usage personnel augmentera. En attendant mieux, les colons ont chacun une chambre où ils habitent avec des meubles et des vêtements qui sont pareils pour tous. Ils prennent trois repas, servis dans un réfectoire commun, préparés dans une cuisine unique, offrant à tout le monde le même menu. Chacun doit avoir par jour dix heures de travail coupées par trois intervalles de repos ; mais Cabet prévoit le temps où, grâce aux machines, la journée pourra être réduite à six heures. Pas d’oisifs, sinon les malades. Seules, les femmes sont exemptées des corvées pénibles et même de toute besogne, quand elles sont sur le point d’être mères ou qu’elles nourrissent. Les travaux s’exécutent sous la surveillance de directeurs et de directrices élus par les travailleurs et, autant que faire se peut, sont distribués d’après l’aptitude et le goût des gens. Mais quelques-uns qui sont durs et indispensables, ceux de la terre, par exemple, peuvent se faire sur réquisition, Quant aux plaisirs