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Il admet que, dans la commune sociétaire, la répartition des produits se fera d’après le capital, le travail et le talent. Il laisse donc subsister, provisoirement du moins, la propriété capitaliste ou bourgeoise.

Quelle va être sur ce point la position de Proudhon ? de l’homme qui a crié de toute la force de ses poumons : — La propriété, c’est le vol. — Par une de ces contradictions inhérentes à son esprit ou à sa méthode, il apparaît ici comme le champion de cette même propriété. Des gens qui le connaissaient mal le traitaient de communiste. Considérant, qui le connaissait mieux, répliquait que c’était une erreur, que sa pensée était « tout ce qu’il y a de plus titrée en individualisme ». Et en effet Proudhon ne prédit pas seulement, comme Pecqueur, la longue survivance de la petite propriété bourgeoise ; il souhaite le maintien des petits domaines, des petites industries, des petits commerces, et il voit un merveilleux accord entre le caractère français façonné par le morcellement séculaire de la richesse et le socialisme, son socialisme, qui doit universaliser la classe moyenne, en constituant à tous des fortunes médiocres individuellement possédées. À l’article 13 de la Constitution il avait proposé d’ajouter : « La Constitution assure et maintient la division des propriétés par l’organisation de l’échange ». Il a injurié le communisme en termes d’une violence extrême ; il veut le juste milieu, l’aurea mediocritas, l’équilibre économique obtenu par un balancement des forces productives. On comprend que Marx l’ait flétri du nom de petit bourgeois.

Cet écart entre les différentes sectes sur les changements qu’il faut apporter à l’organisation sociale se retrouve, mais bien moindre, quand il s’agit de savoir à quelles parties de la population ils doivent s’étendre. Le socialisme, né dans les villes, se montre au début peu agraire, sauf dans l’école fouriériste et chez P. Leroux. En 1848, on songe avant tout aux ouvriers, en particulier à ceux de la grande industrie. Les paysans, que Vidal nous dépeint comme des êtres routiniers, égoïstes, tenant plus à leur bétail qu’à leur famille[1], n’ayant au fond d’affection que pour leurs champs et leurs écus, ne sachant ni lire ni écrire, mais sachant fort bien compter, ces paysans, que Proudhon déclare pour jamais réfractaires à l’association, n’obtiennent qu’un peu plus tard toute la sympathie à laquelle ils ont droit. Pierre Leroux et Considérant sont, parmi les théoriciens, ceux qui se préoccupent le plus de leur sort. Mais d’autres faibles appellent l’attention : l’enfant, la femme. Sur l’enfant, point de dispute tous les socialistes ; convaincus de la puissante action du milieu social sur les mœurs et les opinions, sont résolument partisans de le façonner par l’école. Éducation intégrale, instruction professionnelle, droits de l’enfant sont des notions qui s’élaborent parmi eux. Quant à la femme, les Saint-Simoniens, les Fouriéristes, Pierre Leroux sont d’avis de lui accorder avec l’homme pleine

  1. Comparer Les Bœufs de Pierre Dupont.