Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toires, ils tentent d’opérer entre eux une fusion. L’Église catholique préside à cette réconciliation et Montalembert leur signale le péril qu’ils courraient à se quereller sous les yeux de la démocratie montante.

Cette union à l’abri du principe d’autorité se fait naturellement autour de ceux qui représentent le plus nettement ce principe. La branche cadette doit s’humilier devant la branche ainée. Le roi légitime, d’après le droit ancien, c’est Henri V de Bourbon, comte de Chambord, duc de Bordeaux. Le hasard veut qu’il n’ait point d’enfants. Henri V, réinstallé sur le trône de ses pères, pourrait donc adopter comme héritier de sa couronne le petit-fils de Louis-Philippe, ce comte de Paris encore enfant qui, ainsi que le comte de Chambord, commence sa carrière par l’exil. Le Roi est pieux jusqu’à la dévotion ; mais justement l’enfant vient de faire sa première communion en grande cérémonie et les estampes royalistes ont eu soin de faire connaître à l’univers cette rentrée solennelle dans le catholicisme pratiquant de la dynastie jadis voltairienne. L’existence de Louis-Philippe, « l’usurpateur de 1830 », pourrait être un obstacle à l’oubli des rancunes ; or, il meurt à Claremont le 26 août 1850, et des politesses, que la mort rend faciles, s’échangent entre les deux branches de la famille royale.

Il semble à ce moment que rien ne s’oppose, dans le monde royaliste, à une restauration, et Henri V, venu de Frohsdorf, sa résidence ordinaire, à Wiesbaden, y reçoit une députation française où fraternisent des gentilshommes, des prêtres, quelques négociants, des paysans vendéens, même des ouvriers parisiens et trente-six représentants du peuple. Mais on s’aperçoit bien vite que les principes et les traditions sont, à certains moments, plus forts que les ambitions et les intérêts. A l’instant où les blancs, parfaite antithèse des rouges, semblent prêts à triompher en s’unissant aux monarchistes tricolores, la grosse question qui a divisé les Orléans et les Bourbons reparait à l’improviste. Souveraineté du Peuple ou souveraineté du Roi ? Droit populaire et électif ou droit divin au profit d’une famille élue par le Seigneur ? Les Orléans, dont le chef s’est intitulé Roi des Français par la grâce de Dieu, ont consenti et ont dû leur fortune à un mariage entre les deux principes opposés. Leurs partisans tiennent à ce système bâtard qui leur paraît une concession indispensable au libéralisme moderne. Une partie même des légitimistes, La Rochejacquelein en tête, défend l’appel au peuple, veut retremper l’autorité royale au flot vivifiant de la volonté nationale. Mais celui dont la parole fait loi, le chef de la maison de France, ne veut pas renier ce qui est sa raison d’être et la base de ses prétentions. Il condamne la doctrine, qui, en voulant soumettre son pouvoir héréditaire à la consécration populaire, le subordonne, l’amoindrit, l’humanise. Pour plus de sûreté, il confère à cinq personnes seulement, qu’il désigne, le droit de parler en son nom. Les politiques du parti, les Falloux, les Vatimesnil sont consternés. « C’est notre Waterloo », s’écrie l’un d’eux. Et de fait, tout est