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pauvre et d’éclairer le cœur du riche. Non, vous voulez faire — contre la loi de Dieu — qu’il n’y ait plus de riches ni de pauvres ». Montalembert disait à son tour : « Il n’y a pas de milieu ; il faut aujourd’hui choisir entre le catholicisme et le socialisme ». Le pape parlait de même. L’Église se préparait ainsi de légitimes et redoutables représailles pour le jour où elle cesserait d’être la plus forte ; déjà les républicains prenaient acte de cette espèce de défi ; ils choisissaient, puisqu’on les forçait à choisir ; ils proclamaient, comme Quinet, la nécessité de l’enseignement laïque ; ils dénonçaient le sophisme par lequel on invoquait et employait la liberté pour en finir avec toutes les libertés ; ils acceptaient cette déclaration d’incompatibilité entre le catholicisme et le développement de la démocratie. L’histoire de la courte période qu’il nous reste à parcourir va nous montrer comment le parti républicain français, défait de sa peur aveugle et de sa vague religiosité, évoluait à la fois vers la République sociale et la libre pensée. Cela aussi était une conséquence de la loi Falloux.



CHAPITRE XIV


L’ABOLITION DU SUFFRAGE UNIVERSEL (Loi du 31 mai).
LES PARTIS EN 1850 ET 1851.


Le 10 mars 1850, cinq jours avant le vote définitif de la loi Falloux, avaient eu lieu trente élections complémentaires, en vue de remplacer les représentants condamnés pour l’équipée du 13 juin. Dix conservateurs furent nommés. ; c’étaient autant de sièges gagnés par le parti de l’ordre. Mais dans les grandes villes la liste rouge l’emporta et, à Paris, trois hommes furent élus, dont la nomination était comme un soufflet pour la majorité de l’Assemblée : c’étaient Carnot, protestation vivante contre la loi sur l’enseignement ; Vidal, collaborateur de Louis Blanc au Luxembourg et, par là même, porte-drapeau du socialisme ; de Flotte, un ancien officier de marine arrête après Juin, détenu sans jugement à Belle-Isle, puis évadé et laissé en liberté, parce qu’on n’avait pas de moyen légal de le poursuivre.

Pour se figurer l’effarement et la colère des conservateurs en présence de ce résultat, il faut se rappeler les efforts inouïs qu’ils avaient faits pour l’éviter : en province, les fonctionnaires de toute nature, recommandés par circulaires ministérielles à la surveillance de leurs supérieurs, livrés à l’espionnage et aux rapports secrets des officiers et sous-officiers de gendarmerie (circulaire d’Hautpoul) ; préfets et procureurs épargnant et protégeant toutes les sociétés réactionnaires, même quand elles sont organisées en sociétés secrètes avec initiation et serment, et cela sous prétexte qu’elles contiennent « tout ce que la population a de respectable » ; mais dénonçant, traquant et