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Ursulines de Jésus, les Filles du Saint-Esprit, de la Sagesse, les Dames d’Ernemont, de la Sainte-Union, du Sacré-Cœur de Jésus. C’est un prodigieux pullulement de congrégations féminines, quelques-unes hospitalières, la plupart enseignantes. Un dernier chiffre. Si l’on considère le total de la population scolaire en 1850, on trouve que les écoles laïques contiennent 2,368,627 et les écoles congréganistes 953,796 élèves. C’est dire que l’Église, dans la classe populaire, a sous sa direction immédiate, les 2/5 des enfants, proportion qui devait encore se modifier à son profit, grâce à la loi Falloux, dans les années suivantes.

Comme complément à cet épanouissement de la puissance cléricale, il faudrait ajouter l’écrasement de ce qui restait d’indépendance dans le bas clergé. J’ai parlé des tentatives faites pour supprimer le Concordat[1]. Il y eut aussi quelques velléités de le réviser. A la Constituante, Cénac avait proposé que l’élection fût appliquée à toutes les fonctions ecclésiastiques. Les évêques et archevêques auraient été nommés par le chef de l’État sur une liste de candidats choisis par les maires et adjoints de chaque diocèse et possédant le grade de docteur en théologie. C’eût été démocratiser l’organisation monarchique de l’Église, donner la haute main aux fidèles sur le clergé et changer, pour la discipline, le catholicisme en protestantisme. Mais « nous n’avons plus assez de religion pour nous faire protestants », disait Proudhon. Cénac n’avait pas été suivi sur ce terrain brûlant. Pourtant d’autres représentants rêvèrent un clergé national et républicain, rêve qui était peut-être, chez eux une réminiscence de la première Révolution. Proudhon lui-même eut l’idée de quelque chose d’analogue. C’est ainsi qu’Isambert, Pascal Duprat, Edgar Quinet tentèrent de galvaniser l’ancienne église gallicane. Ils déposèrent un projet qui était un effort pour empêcher une bonne partie des prêtres d’être absolument à la merci de leurs évêques. Ils avaient remarqué que tous les desservants et vicaires, formant presque les neuf dixièmes du clergé, étaient fort peu payés et se trouvaient ainsi à la discrétion de leurs supérieurs qui pouvaient par des déplacements habiles augmenter ou diminuer leur traitement. Ils demandaient donc qu’au bout de cinq ans d’exercice ces ministres du culte, tenus dans une situation précaire, fussent assimilés aux curés titulaires, c’est-à-dire, qu’ils eussent de quoi vivre et la garantie de ne pas être déplacés contre leur volonté. Cela entraînait la création de tribunaux ecclésiastiques jugeant les questions de discipline et rendant des sentences motivées en cas de suspension ou de révocation d’un prêtre par son évêque. Au Comité des cultes, les évêques accueillirent mal une proposition qui était de nature à limiter leur pouvoir. Ils se réfugièrent derrière l’autorité du pape, parvinrent à faire décider par le Comité qu’on inviterait le gouvernement à ouvrir des négociations avec le Saint-Siège. Un rapport fut fait en ce sens ; mais il ne fut pas discuté, et l’organisation datant du Concordat

  1. Voir page 105.