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touchait surtout aux deux autres ordres d’enseignement. On n’eut pas le temps de le mettre sur pied. On se contenta, dans ce domaine, de détruire, sans remplacer. Aucune suite ne fut donnée au dessein que Carnot avait annoncé de créer un Athénée libre ; on voulait bien (et c’est la philosophie de ce qui se passe alors donner, suivant l’expression de Veuillot, la liberté du bien, non celle du mal. En revanche, on attaque l’École d’administration qu’il avait fondée. Elle déplaisait à la bourgeoisie, parce que les cours y étaient gratuits et que le diplôme de sortie devait assurer aux élèves des emplois, ce qui rendrait la concurrence possible aux enfants du peuple avec les fils de famille. C’est pour le même motif qu’il y eut opposition, quand on demanda la gratuité pour les grandes Écoles : elle fut quand même accordée pour l’École Normale Supérieure, plus difficilement pour l’École Polytechnique et pour celle de Saint-Cyr. Mais on la retirait bientôt à ces deux dernières et on la refusa à la nouvelle fondation. On lui reprochait de porter les esprits vers les études de politique et d’économie sociale qui passaient pour sentir le fagot. Falloux l’attaqua devant la Constituante en disant qu’il n’y avait pas assez de places pour pourvoir les élèves sortants ; qu’installer dans Paris, foyer de toutes les passions, une école de ce genre, c’était exposer la jeunesse à des excitations malsaines. Il proposait, pour la remplacer, des cours de droit administratif qu’on créerait dans les Facultés. Les cours ne furent pas institués ; mais l’École d’administration disparut. Il en fut de même des innovations tentées au Collège de France. Du reste, malgré Victor Hugo qui protesta contre cette « économie de gloire », le budget de l’enseignement supérieur fut notablement diminué, pendant que celui des cultes était augmenté. Il fut décidé, par exemple, qu’un professeur, fût-il le plus grand savant du pays, ne pourrait, même en occupant deux chaires, dépasser un traitement de 12.000 francs, alors que le traitement de l’archevêque de Paris était reporté à 40.000 francs. Mais le régime, sous lequel vivaient les Facultés, quoi qu’il ne pût échapper à l’infiltration de l’esprit clérical, ne fut atteint que de façon indirecte ; les changements portèrent plutôt sur les personnes que sur l’organisation.

Revenons aux deux projets qui sortirent des délibérations de la Commission extra-parlementaire. Ils se fondirent bientôt en un seul que Falloux rédigea et se hâta de déposer le 23 juin 1849 dans les jours de réaction fiévreuse qui suivirent l’échauffourée des Arts-et-Métiers. Il rencontra aussitôt deux sortes d’adversaires[1]. D’une part il opéra le miracle de réunir contre lui tous les républicains, même les plus modérés, qui eurent peur de voir la pensée française retomber sous le joug de l’Église et rétrograder jusqu’au-delà de l’ancien régime ; d’autre part il irrita les catholiques intransigeants, partisans du Tout ou Rien, trompés ou révoltés par les trop subtiles

  1. (Il provoqua aussi les réclamations des Protestants et des Israëlites, au nom de l’égalité des cultes reconnus.