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La Commission ne le suit pas dans ce sauvage appétit de destruction. Mais les décisions qu’elle prend sont déjà fort graves. L’obligation scolaire est repoussée, presque à l’unanimité, comme une tyrannie. Au programme, l’instruction morale et religieuse avant tout. Lecture, écriture, français et calcul, seuls obligatoires et matières d’examen ; le reste est facultatif. La gratuité pour les indigents seulement. Sinon, ce serait le droit à l’instruction, frère du droit au travail. Pour les instituteurs, le brevet de capacité pouvant être suppléé par le titre de ministre d’un des cultes reconnus par l’État. Ceux de l’enseignement libre soumis, comme dans le projet précédent, à une triple déclaration pour l’ouverture d’une école et à une inspection restreinte, quasi-nominale. Ceux de l’enseignement public nommés par le Conseil municipal de chaque commune et pouvant être choisis parmi les membres des congrégations autorisées, qui sont présentés directement par leurs supérieurs. Plus d’inamovibilité ; ils peuvent être suspendus par le maire, déplacés et révoqués par le recteur. Les Écoles normales peuvent être supprimées par le Conseil général du département[1]. On laisse ainsi aux pouvoirs locaux la faculté de favoriser l’Église, si cela leur plaît. L’instituteur a droit à une retraite et à un traitement qui se compose d’une partie fixe, dont le minimum est de 200 francs, et d’une rétribution payée par les élèves ; le total doit, comme dans le projet Carnot qui abolissait cette rétribution, atteindre au moins 600 francs. Ces améliorations ne s’étendent point aux institutrices qui restent en état d’infériorité : car les examens pour elles ne sont pas publics et la lettre d’obédience équivaut pour les Sœurs au brevet de capacité. On tâche, il est vrai, d’accroître le nombre des écoles de filles, qui ont le même programme que celles des garçons, avec les travaux à l’aiguille en plus. Toute commune de 800 âmes et au-dessus est tenue d’en avoir une, mais avec cette restriction : « Si ses propres ressources lui en fournissent les moyens. » Point de co-éducation, quand on peut l’empêcher, soit des garçons et des filles, soit des catholiques et des enfants professant une autre religion. En ce qui concerne l’enseignement primaire supérieur, il est dit seulement qu’ « il peut être créé » des écoles d’adultes et d’apprentis, des écoles du dimanche etc. L’école maternelle reprend le nom de salle d’asile qui rappelle son origine charitable.

En somme l’instituteur et plus encore l’institutrice publics maintenus dans une situation précaire, s’ils sont laïques ; soumis au contrôle et à la direction du maire et du curé, représentants l’un de la bourgeoisie, l’autre de l’Église, qui dressent ensemble chaque année la liste des enfants admis gratuitement ; obligés de tenir leur école toujours ouverte aux ministres des

  1. Un représentant, Salmon, demanda, dans la discussion devant l’Assemblée, qu’on s’abstînt de déposer dans l’esprit des éléves-maîtres une science plus haute que celle dont ils auraient besoin dans leur modeste carrière. Aussi le programme des écoles normales fut-il réduit à l’indispensable : lecture, écriture, calcul, éléments de français, puis instruction religieuse, chant religieux. Les journées commencent et finissent par une prière en commun, suivie d’une lecture de piété. Les élèves sont conduits aux offices par le directeur et par les maîtres-adjoints (Décret du 24 Mars 1851).