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le Conseil général, et, noyé parmi ces représentants des grandes influences sociales, un fonctionnaire de l’enseignement, désigné par le ministres ; les doyens des Facultés n’y paraissent que par exception pour ce qui concerne leurs Facultés respectives. En somme, le clergé pénètre dans la hiérarchie universitaire avec un pouvoir de contrôle et de direction.

Pour l’enseignement primaire qui s’adresse au peuple, Thiers le traite avec une dureté impitoyable. Montalembert et Riancey sont obligés d’intervenir comme modérateurs. Le petit bourgeois féroce ne voit pas pourquoi l’école primaire serait à la portée de tous. L’instruction est déjà un commencement d’aisance. Instruire qui n’a rien, c’est « mettre du feu sous une marmite sans eau. » On lui réplique en s’étonnant qu’il soit nécessaire de posséder 10.000 livres de rente pour avoir le droit d’apprendre à lire. S’il se résigne alors à la nécessité de l’enseignement populaire, du moins veut-il le réduire au minimum. Lire, écrire, compter, cela suffit. Le reste est superflu, dangereux ; car cela peut écarter du travail des champs. Il faudrait en tous cas, si l’on pouvait, le réserver tout entier au clergé. Les congrégations ne sont pas sans doute suffisamment outillées pour cette tache. Mais on pourrait les aider par des subventions prises sur « le budget énorme de vingt millions » que va coûter ce service. On pourrait encore leur donner comme auxiliaires d’anciens sous-officiers. Montalembert est lui-même effaré du cadeau dont Thiers veut accabler l’Église. Il déclare que, réactionnaire en politique, il ne veut pas l’être en cette question ; qu’il s’en tient à la liberté de l’enseignement. Une seule dérogation au droit commun lui suffirait. C’est que la lettre d’obédience fût assimilée au brevet de capacité exigé des instituteurs publics. Cousin réclame. On décide une enquête. On convoque devant la Commission deux inspecteurs de l’Université, puis le supérieur des Frères de la Doctrine chrétienne et celui des Lazaristes et Sœurs de charité. Or voilà que l’enquête tourne en faveur des instituteurs. Le péril primaire, dénoncé par Montalembert, risque de s’évanouir. Mais Thiers est là. « Pas d’enseignement Carnot ! Pas d’enseignement Blanqui ! » De son aveu même, — il conduit l’enquête « contre Cousin. » — « Il est tel frère, dit le chef des Ignorantins, qui depuis vingt ans enseigne la petite classe dont les qualités sont incontestables et qui jamais ne pourrait subir aucun examen. » Il est donc convenu que « l’esprit de dévouement » pourra être considéré comme l’équivalent du brevet de capacité. Les instituteurs, selon Thiers, sont 36.000 communistes, 36.000 anti-curés. Il faut les mater et il serait à souhaiter que les Écoles normales, vrais clubs silencieux, qui ont le tort d’être dans les villes où circulent des idées inquiétantes, fussent supprimées, Riancey demande grâce pour quelques-unes. Mais Thiers insiste : « C’est le seul remède efficace… C’est hardi, bien hardi, j’en conviens… Cependant je ne reculerai pas… Je m’engage à me faire casser, s’il le faut, bras et jambes à la tribune de l’Assemblée nationale. »