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à créer une École Normale supérieure pour institutrices et il s’était arrêté à l’idée de régénérer en ce sens les maisons de la Légion d’Honneur.

Si l’on ajoute à ces créations qui trahissaient un souci intelligent de l’avenir celles que réalisa ou projeta Bethmont, ministre du Commerce : fermes-écoles, plan général d’enseignement professionnel, on a toute l’œuvre du Gouvernement provisoire en ce domaine, où l’on retrouve ses intentions excellentes et vraiment démocratiques avec sa faiblesse ordinaire de renvoyer à plus tard les grosses réformes.

On sait comment Carnot[1] fut visé et renversé, dès le 5 juillet 1848, à propos d’un de ces manuels d’éducation civique qu’il avait provoqués et approuvés. Mais le projet qu’il avait déposé le 30 juin sur l’enseignement primaire lui survécut, et il mérite d’être mis en lumière.

D’abord point de monopole. Partage de l’enseignement entre les écoles publiques et les écoles privées. Essai loyal de conciliation entre le devoir de l’État qui est de répandre l’instruction, et le droit des pères de famille à choisir les instituteurs de leurs enfants ou à les élever eux-mêmes. Carnot aurait souhaité que jusqu’à un certain âge tous les enfants se rencontrassent sur les mêmes bancs ; que l’Église prît ses futurs ministres parmi les élèves qui auraient passé sur les bancs de l’école laïque. Mais son projet n’a point gardé trace de ce désir.

Dans les écoles publiques, enseignement gratuit et obligatoire pour les deux sexes jusqu’à l’âge de quatorze ans ; les parents négligents cités devant le juge de paix et réprimandés, leurs noms affichés, et, en cas de récidive, amende et privation des droits civiques. Au programme, la lecture, l’écriture, le calcul, le français, des notions sur les principaux phénomènes de la nature, de l’agriculture et de l’industrie, le dessin linéaire, le chant, l’histoire et la géographie de la France ; l’enseignement civique, comprenant « tout ce qui est nécessaire au développement de l’homme et du citoyen, tel que les conditions actuelles de la civilisation française permettent de le concevoir » ; l’enseignement moral s’efforçant de faire fleurir les sentiments de liberté, d’égalité, surtout de fraternité. Quant à l’enseignement religieux, considéré comme un complément nécessaire reliant l’amour des hommes à l’amour de Dieu, il doit être donné dans les édifices du culte et en dehors des classes par les ministres des différentes religions. Donc séparation amiable de l’Église et de l’École. La condition des instituteurs et institutrices améliorée par leur division en quatre classes qui toucheront de 600 à 1,200 francs pour les hommes, de 500 à 1,000 francs pour les femmes, et, en sus, une indemnité dans les communes dépassant 5,000 âmes. Droit à l’avancement sur place et à la retraite, comme pour les autres fonctionnaires de l’Université. Maitres et maîtresses instruits gratuitement dans les Écoles normales, où l’on entre après un examen et un engagement de dix ans qui

  1. Voir page 96.